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dans l’opposition. Enfin un revirement électoral inattendu le bannit, déjà mourant, non-seulement du pouvoir, mais du parlement, et ne lui laissa pas même un humble siège pour exhaler son dernier soupir dans l’enceinte qui retentissait encore des échos de sa voix. Ne demandez pas à M. Gaston de Serre l’explication de ces péripéties. Il semble avoir pensé qu’une appréciation quelconque, fût-ce un éloge et à plus forte raison une apologie, inutile à la renommée qui lui est chère, paraîtrait irrespectueuse dans la bouche d’un fils. Nous avouerons franchement que nous regrettons cet excès de sobriété. Quelques renseignemens de plus, comme la famille de M. de Serre eût été pleinement en mesure de les donner, n’eussent été nullement superflus. Ce qu’une génération connaît le moins bien, surtout dans les pays où les révolutions ont brisé le fil de la tradition politique, c’est l’histoire de celle qui la précède. L’histoire ancienne a reçu son vrai sens dans les travaux des maîtres, l’histoire du jour se fait ou s’altère sous nos yeux ; mais l’histoire d’hier n’existe que dans des récits d’acteurs ou de témoins, documens tout empreints des passions et des préjugés des partis et trop peu nombreux encore pour être contrôlés les uns par les autres. Ces faits de la veille qui s’éloignent ont perdu la vivacité des couleurs du présent, mais n’ont point encore atteint ce point de perspective d’où se mesurent dans une juste proportion les événemens et les hommes. C’est le vrai moment pour une voix amie de s’élever en l’honneur d’une mémoire aimée ; c’est le moment de raviver l’intérêt qui diminue par des détails choisis, des confidences et des correspondances dont le voile peut déjà être à demi levé, et si la haine et l’envie durent encore, c’est le moment de désarmer pour jamais leurs traits, qui déjà s’émoussent, par une justification faite sur pièces. Peut-être la réputation de M. de Serre avait-elle besoin plus qu’une autre qu’on lui vînt en aide par ce genre de service, parce que la complexité de son rôle l’a exposé tour à tour aux ressentimens des partis contraires, et lui-même, sous l’empire d’une sensibilité fière, a plus d’une fois réagi avec plus de vivacité que de prudence contre les coups de l’injustice. Il ne sera jamais apprécié à toute sa valeur dans les souvenirs de ses compagnons de lutte, car il n’en est aucun avec qui il n’ait eu un jour de dissidence assez âpre. Il se présentera seul à la postérité. Le dépositaire naturel de ses pensées était aussi son auxiliaire désigné devant ce tribunal suprême. Ceux qui connaissent M. Gaston de Serre savent que rien ne lui manquait pour remplir ce pieux office et se plaindront avec nous qu’il se soit trop défié de lui-même et trop confié dans la mémoire et dans la justice de la France.

Bien différente est la grande entreprise de M. Duvergier de Hauranne, dont les premières parties ont déjà été appréciées ici-même