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quelques touches du portrait qu’il a si vivement tracé. Quant aux particularités pleines d’intérêt qui relèvent la physionomie du modèle, c’est chez le peintre même qu’il faut les aller chercher. Je ne veux pas priver le lecteur de ce plaisir ni le dispenser de ce devoir. La rapidité de cette analyse me force même à anticiper sur les faits que M. Duvergier de Hauranne nous racontera dans les volumes suivans pour aller droit à une grande mesure qui me paraît mettre en lumière à la fois dans sa nuance véritable et dans sa plénitude la pensée conciliante de M. de Villèle : c’est l’indemnité des émigrés.

Ce ne fut que la troisième année de son ministère que M. de Villèle obtint du roi l’autorisation de demander aux chambres l’inscription au grand-livre de la dette publique d’un capital d’un milliard pour être distribué en indemnité aux propriétaires dépouillés de leurs biens par les lois de nos assemblées révolutionnaires ; mais le projet datait de loin dans son esprit et y était devenu en quelque sorte une idée fixe. Je tiens d’un homme qui ne l’aimait pas, mais qui lui rendait justice, M. Pasquier, que depuis plusieurs années il ne cessait de redire : Jamais le roi ne pourra. gouverner en France tant que les émigrés ne seront pas indemnisés. C’était son delenda Carthago, et ceux même qui trouvaient l’idée juste en soi et praticable ne comprenaient pas bien le prix inestimable qu’il paraissait mettre à la voir réaliser. Au premier moment même, quand l’acte réparateur fut proposé, l’effet en fut plus que médiocre. Les propriétaires spoliés, qui se flattaient toujours d’une restitution complète, n’y virent qu’une aumône et la trouvèrent avare. Les financiers au contraire trouvèrent la charge lourde pour un trésor obéré. Les libéraux s’indignèrent des égards témoignés à des hommes qui avaient combattu leur patrie et du doute élevé sur la légitimité du droit révolutionnaire. Personne ne prévit l’effet dont tout le monde pourtant devait profiter. Personne ne vit que l’important était non pas une somme plus ou moins grande sortie des caisses de l’état et versée dans la bourse des émigrés, mais bien ce fait capital, à savoir : l’investiture donnée par les anciens propriétaires du sol à ses nouveaux détenteurs. Par cela même que les émigrés acceptaient, même en murmurant, une somme, si petite fût-elle, ils se désistaient de leurs prétentions sur le fonds même dont ils recevaient la compensation. Ils donnaient par là décharge de tout compte à la révolution. Le signe le plus saillant, le plus visible à tous les regards, le plus éclatant au soleil de la rénovation sociale, n’était-il pas le morcellement de l’ancienne propriété féodale entre les paysans émancipés ? C’est là ce qui fut ratifié par l’adhésion de ceux qui en avaient été le plus directement lésés. La conquête fut légitimée par le vaincu lui-même, qui apposa sa signature à la distribution de son territoire faite entre