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personne, était venue s’abriter sous un toit ministériel, c’est une singularité que M. Duvergier de Hauranne nous expliquera, et qui amusera toujours ceux qui aiment à se donner le spectacle de la comédie humaine ; mais personne ne sera surpris que, dans une telle compagnie, la poésie se soit trouvée mal à l’aise et ait été prise en mauvaise part, ni qu’elle en soit sortie bientôt à la fois irritée et proscrite. Entre M. de Villèle et la Muse, l’alliance était décidément trop contre nature et le divorce inévitable. Les incidens de la séparation sont connus et inutiles à redire ; quels qu’ils aient été, ils ne firent que hâter l’explosion d’une incompatibilité radicale de caractère que M. de Chateaubriand, avec la précision ordinaire de son crayon, a caractérisée d’un seul trait. « M. de Villèle, dit-il dans une phrase citée par M. Duvergier de Hauranne, voulait rattacher cette nation au sol et la tenir en bas ; nous voulions, nous, la conduire à la réalité par des songes. »

Quelle réalité pouvait suivre les songes de M. de Chateaubriand, je l’ignore ; mais il est certain que ces songes dorés, il les emporta avec lui. Avec lui disparut l’ornement principal de la cause royale, et comme un des rayons les plus lumineux de son auréole. Il fut suivi d’année en année par bien d’autres dont l’esprit et le cœur se sentirent étouffés dans l’atmosphère raréfiée où M. de Villèle voulait les faire vivre ; ce furent les plus sincères, les meilleurs, la vraie garde d’honneur du trône, par exemple presque toute la jeune noblesse de la chambre des pairs. Le parti libéral ouvrit ses bras à ces auxiliaires inespérés. Chose étonnante, et voyez la vanité des conseils humains ! l’influence pacificatrice qu’avait exercée M. de Villèle tourna ici contre lui-même. Grâce à lui, les deux fractions de la France s’étaient rapprochées, une vie commune et des relations plus cordiales s’étaient rétablies entre elles. L’abîme qui les séparait étant ainsi comblé, le passage de l’une à l’autre devint plus facile, et ce furent les soldats défectionnaires de M. de Villèle qui profitèrent les premiers de cette facilité. Tandis que dix ans auparavant M. de Serre n’avait pu faire un pas vers un parti sans être suivi à l’instant par les vociférations de l’autre, M. de Chateaubriand passa à l’opposition avec armes et bagages, sans perdre ni sa considération ni aucune de ses plus précieuses amitiés.

Ce ne fut pas tout : M. de Villèle aurait probablement laissé partir ces rêveurs qu’il dédaignait sans beaucoup les regretter, si, en le quittant, ils ne l’avaient laissé, du même coup, à la discrétion d’une autre espèce de songe-creux, tout aussi mécontens de lui, mais beaucoup plus maussades et qui lui rendirent la vie plus dure. C’était une coterie fanatique et acariâtre qui n’avait jamais voulu entrer dans ses tempéramens ni dans ses plans de