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contre lequel sont venues se briser l’éloquence de M. de Serre et l’adresse de M. de Villèle. Ces institutions au contraire ont été dans leurs mains comme un instrument souple et fort qui s’est toujours prêté à l’exécution de la partie vraiment patriotique de leurs desseins. Le concours des assemblées n’a point fait défaut ni à M. de Serre pour constituer la libre publicité de la pensée sur des bases à la fois larges et solides, ni à M. de Villèle pour effacer de notre histoire le souvenir d’une des plus grandes iniquités qui y aient fait tache. De toutes les luttes parlementaires, eux-mêmes et le bon sens et le bon droit avec eux sont sortis plus affermis. Leur vraie faiblesse, il faut la chercher non dans l’action des assemblées, mais au dehors, dans la profonde division sociale qui était la lamentable suite de la révolution de 1789, et dont chacun d’eux a contribué pour sa part à effacer les traces sans y pleinement réussir ni l’un ni l’autre. Cette division, nous l’avons dit, n’était point une simple dissidence sur la conduite des affaires publiques. De tels dissentimens sont de l’essence d’un régime de discussion et font la vie comme le mouvement d’un pays libre. Ce n’était point non plus une différence de système sur la forme extérieure du gouvernement ou une rivalité des partisans de deux dynasties. Placée entre Bonaparte captif et peu regretté et la république, encore frappée d’une sanglante impopularité, la restauration comptait peu d’ennemis personnels, ou du moins ceux qu’elle avait poursuivaient en elle non tel ou tel roi, telle ou telle famille, mais tout un ordre entier de principes sociaux qu’elle était supposée représenter. Ce n’étaient donc ni deux politiques, ni deux chartes, ni deux royautés qui étaient aux prises, c’étaient, répétons-le une fois de plus, deux nations et deux sociétés. Le différend portait sur les élémens constitutifs de l’ordre social, sur la religion, sur la famille, sur la distribution de la propriété, sur tous ces points qui, dans les discussions politiques ordinaires, sont les points fixes autour desquels un débat s’agite et les prémisses dont tous les raisonnemens se déduisent. De là l’embarras, pour des hommes ainsi séparés, non-seulement de parler ensemble, mais de vivre à côté les uns des autres. La difficulté de se rencontrer sans se battre eût été aussi grande dans un palais que dans une assemblée politique. Que dis-je ? elle était grande même dans la rue. D’une telle opposition d’idées à laquelle se mêlait une égale hostilité d’intérêts, et entretenue d’ailleurs par de sanglans souvenirs, se dégageait une chaleur de passion qui aurait mis à trop forte épreuve toutes les institutions politiques du monde. Je ne sais quelles armes auraient résisté à une pareille charge de poudre. Si celles que maniaient M. de Serre et M. de Villèle ont menacé plus d’une fois d’éclater dans leurs mains, on ne