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des livrés sacrés. Les peuples qui n’ont que des dieux de bois les remettent sans trop de résistance aux mains des étrangers ; mais combien l’homme défend avec une tout autre obstination les idoles de l’esprit ! C’est surtout ce qui a lieu dans le Céleste-Empire. Les missions anglaises, auxquelles dès 1807 les savantes études de Morrison frayaient la voie en Chine, commencèrent leurs travaux en 1845, lorsqu’un décret impérial déclara que la religion chrétienne serait tolérée dans l’empire du milieu. Le champ de la propagande était pourtant encore très limité par les lois du pays. On avait un moment compté sur l’insurrection qui menaçait le gouvernement chinois pour abaisser certaines barrières et pour favoriser les vues des propagateurs de la Bible. Il semblait en effet qu’un élément spiritualiste animât la fureur des nouveaux sectaires. Il fallut pourtant renoncer à ces illusions ; la prise de Nankin termina la longue guerre entre les impériaux et les insurgés, qui n’étaient d’ailleurs nullement attirés vers le christianisme. Le retour de plusieurs milliers de fugitifs dans leurs foyers, la reprise des travaux de l’industrie, les avantages de la paix constituaient en somme un état de choses propice à l’œuvre des missions protestantes. D’un autre côté, le traité conclu par lord Elgin garantissait aux missionnaires toute la protection que pouvait leur assurer l’autorité du chef de l’état. Les différentes sociétés de Londres organisèrent alors en Chine un système de colportage de la Bible et de prédication ambulante, itinerancy. Des voyageurs de l’Évangile s’avancèrent seuls ou presque seuls au milieu d’un pays inexploré, de villes florissantes et de marchés où affluent tous les produits du commerce. D’autres se sont déjà établis dans les grandes cités, où ils ont ouvert des hôpitaux et des écoles. A Nankin, par exemple, c’est en soignant les maladies du corps qu’on espère gagner les âmes. L’école des femmes présente durant la belle saison de l’année une scène des plus agréables : chacune des néophytes porte une reine-marguerite (aster) dans le nœud de cheveux noirs qui couronne le sommet de la tête et des pots de la même fleur garnissent toute la salle. Que parle-t-on encore de l’intolérance des Chinois ? Évidemment ce n’est point du tout là qu’est l’écueil : les missionnaires anglais trouvent aujourd’hui des amis jusque parmi les mandarins. L’un d’eux, sur une simple lettre de recommandation, fit dresser dans sa cour une table recouverte d’un morceau de drap rouge, et présenta l’orateur chrétien à de nombreux auditeurs, disant que cet étranger était venu de loin pour les entretenir de sa religion, et qu’il l’avait lui-même invité à prendre la parole. En était-il pour cela mieux disposé à abandonner le culte de son pays ? Non vraiment. Le christianisme rencontre de la part des Chinois lettrés le