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si triste usage[1]. Ils ne sont signalés, au moment de leur libération, qu’à la police de Londres, et refluent en conséquence de la capitale sur les grandes villes et sur les districts ruraux où leur présence est d’autant plus dangereuse qu’ils y restent parfaitement inconnus. Les remèdes indiqués par les pétitionnaires sont les mêmes que M. Richard Mayne avait proposés sept ans auparavant et qu’avait approuvés le comité parlementaire.

On se demandera sans doute comment le ministère de l’intérieur, qu’elles concernaient spécialement, s’était cru dispensé d’avoir égard à de si formelles recommandations. Ses motifs, formulés par M. Waddington, peuvent se résumer ainsi. « La loi qui autorise l’administration à délivrer des licences ne pourvoit pas à l’établissement d’une procédure quelconque, où l’affranchi provisoire, simplement dénoncé pour mauvaise conduite et sans allégation d’un délit précis, puisse présenter sa défense et faire valoir son droit. On n’a donc pu sévir que dans les cas exceptionnels où une éclatante notoriété, une série de dénonciations parfaitement concordantes, ont paru suppléer aux résultats de cette procédure impossible. » Obsédé sans doute par le souvenir de ce qui se passe chez nous, le comité parlementaire pose ensuite à M. Waddington la question suivante : — Est-ce que vous n’avez jamais forcé les détenteurs d’une licence à se présenter périodiquement devant la police ? — Jamais, répond aussitôt ce fonctionnaire avec une sorte de haut-le-corps tout à fait caractéristique. On a pensé certainement, — et je suis de cet avis, — que si un système de surveillance policière devait être introduit dans ce pays, ce ne pouvait être que par un acte du parlement. J’avoue qu’il m’en coûterait beaucoup de l’y établir sans le concours de la puissance législative. Ce serait chez nous un procédé tout à fait inoui…

Le génie anglais éclate dans cette réplique d’un officier d’état à un délégué de la puissance parlementaire, réplique d’autant plus saisissante que les rôles sont intervertis, et que le défenseur du principe de liberté, celui qui ne veut pas y voir déroger sans une loi formelle, est précisément le représentant du pouvoir auquel profiterait cette dérogation et dont elle étendrait la juridiction. Remarquez aussi qu’il s’agit de véritables parias, déclassés, flétris, qu’il semblerait permis de fouler aux pieds sans le moindre scrupule, et dont pourtant on défend les droits avec autant de rigueur et de scrupule que s’il était question des privilèges de la pairie. Nous voulons bien admettre, — car la faillibilité humaine se

  1. Chiffres exacts : 2,069 en 1861, 2,297 en 1862. Pour 1863, le nombre prévu était à peu près de même importance.