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fait amener devant lui chaque nouvel arrivant ; il l’interroge sur sa position, ses liens de famille. Ses parens vivent-ils encore ? a-t-il des frères, des sœurs ? que ne doivent-ils pas souffrir de le voir à ce point déchu ! Mais cette déchéance n’est pas irrévocable. Le prisonnier est en des mains amies. Il ne tient qu’à lui, à lui seul, d’être traité avec toute la douceur que comporte une situation comme celle qu’il s’est faite. « Si vous avez à souffrir ici, c’est vous qui l’aurez voulu. Acceptez-moi pour conseiller et pour guide, mon affection ne vous manquera jamais. » Ce langage paternel, on s’en doute bien, n’est pas toujours compris : encore moins veut-on le croire sincère ; mais le nouvel arrivant, conduit selon les dispositions qu’il manifeste dans telle ou telle partie de l’établissement, recommandé à ses nouveaux camarades, immédiatement surveillé par celui d’entre eux qui est à la tête de sa division, voudrait en vain donner carrière à ses mauvais instincts. On l’arrête au début, et ce n’est pas une autorité toujours suspecte, toujours jalousée, bravée à plaisir, ce sont des compagnons de crime et de misère, par cela même cent fois mieux écoutés et dont il n’y a pas à se méfier. Le trait de génie, si génie on veut, est tout entier dans cette substitution de l’égal au supérieur, du moniteur au maître, du coupable repentant à l’homme qui n’a pas failli, et dont l’impeccabilité même, censure indirecte, reproche muet, exaspère, obsède, révolte celui qu’elle devrait dominer. Il va sans dire que la réforme ne s’opère pas en un jour ; mais la surveillance est exacte, toute faute est signalée aussitôt que commise. En pareil cas, le blâme du gouverneur, appuyé qu’il est par l’opinion de tous, compte déjà pour un châtiment. Quelques privations alimentaires, quelque retranchement aux récréations habituelles des prisonniers, suffisent ensuite pour l’amener à résipiscence. La sévérité, suivant M. Obermayer, a moins d’action qu’une indulgence bien entendue. Par elle seule, on arrive à obtenir l’obéissance volontaire, à créer de proche en proche cette « opinion saine » dont l’influence constante et pénétrante finit à la longue par avoir raison des résistances les plus farouches.

Est-il donné au premier venu de manier à volonté des ressorts si délicats, et de traiter ainsi, par de simples calmans, des âmes aussi profondément gangrenées ? Selon nous, pareille opinion serait assez téméraire. Les succès de M. Obermayer peuvent être dus, en grande partie, à l’ascendant d’une nature spécialement sympathique, à l’autorité d’une douceur inaltérable et constamment affectueuse. C’est peut-être, comme dit M. Combe, un « génie » à part, un François de Sales, un Las-Cases, un Heber, appelé à déployer sur un théâtre restreint des facultés supérieures ; mais, comme le dit