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des faits constatés sur ces divers points par la critique moderne. Nous nous garderons bien de présenter comme définitifs, absolument démontrés, des résultats obtenus lentement, par une longue série d’approximations laborieuses, et qui de nature sont toujours sujets à révision ; mais en indiquant le point d’arrivée de la science spéciale dont nous invoquons les lumières, en tâchant de dégager là question des Évangiles de ses nombreuses complications et de ses aridités techniques, nous espérons mettre les esprits impartiaux en état de discerner eux-mêmes ce que l’on peut désormais considérer comme évident et ce qui, à des degrés divers, est encore et sera peut-être toujours livré aux fluctuations de la pensée humaine.

Quelques mots d’abord pour nous orienter. Tout le monde sait qu’il existe quatre Évangiles canoniques, c’est-à-dire quatre livres consacrés à la biographie de Jésus et seuls reconnus depuis longtemps par l’église chrétienne comme authentiques et faisant règle de foi. Ces quatre Évangiles se rattachent, dans l’ordre stéréotypé que la tradition leur assigne, aux noms de Matthieu, Marc, Luc et Jean. Le premier et le quatrième auraient eu pour auteurs deux apôtres immédiats du Christ ; les deux autres seraient dus à la plume de deux personnages notables des temps apostoliques. L’un, Marc, selon de vieilles traditions, aurait été adjoint comme interprète à l’apôtre Pierre ; l’autre, Luc, aurait suivi l’apôtre Paul dans ses voyages de missionnaire. Nous reproduisons ici la donnée traditionnelle sans l’examiner de près. Ce qui, antérieurement à toute question d’authenticité, frappe le regard le plus superficiel, ce qui du reste n’est plus conteste par personne, c’est le fait saillant d’une différence des plus marquées, justifiant à tous les yeux la séparation des Évangiles en deux groupes très distincts, — le premier formé par les trois premiers Évangiles, dits synoptiques, parce que de forme, de plan, de contenu, les choses prises en gros, ils sont parallèles l’un à l’autre, — le second formé uniquement par le quatrième Évangile, qui porte le nom de l’apôtre Jean. Or toutes les questions relatives aux Évangiles se ramènent à deux points : — quels sont les rapports mutuels et le mode de formation des Évangiles synoptiques ? quels sont les rapports du quatrième Évangile avec le groupe synoptique, et ces rapports une fois constatés, quelle idée faut-il se faire de son origine et de sa valeur historique ? Pour nous, en ce moment, cette seconde question est en réalité la première. Il nous sera donc permis, en fixant spécialement aujourd’hui notre attention sur le quatrième Évangile, de considérer le groupe synoptique comme un tout homogène qui mérite d’être étudié à part et qui appelle une discussion spéciale. L’importance attribuée aux problèmes que soulève le quatrième