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Tout à coup il se fit un grand bruit au pied du manoir ; deux chevaux entraient dans la cour ; Chesnel et M. de Bochardière en descendirent. Chesnel, autorisé sans doute à ce qu’il allait faire par un mot que l’avocat lui avait glissé à l’oreille, pénétra le premier dans la maison ; il monta l’escalier qui menait à la chambre de Mlle de Bochardière ; la porte en était entre-bâillée, il s’arrêta sur le seuil.

Il portait la tête du loup. Il jeta ce trophée sanglant sur le parquet, aux pieds mêmes de la jeune fille. Elle poussa un cri de terreur et de colère. — Ôtez cela, dit-elle ; qui m’envoie cette chose horrible ? Chesnel reprit le trophée sans mot dire et le lança hors de la chambre ; mais auparavant il avait arraché aux dents de la bête un objet qu’on y avait attaché et qui brillait d’un éclat extraordinaire. Il mit un genou en terre et le présenta à Violante. C’était la bague de Robert XV, trouvée au doigt de Martel Ier après sa mort mystérieuse. Violante la reconnut sans peine. — Ôtez cela aussi, s’écria-t-elle en la repoussant de la main,

Mais soudain, ayant réfléchi, elle prit le brillant, s’approcha de la croisée ouverte et le jeta dans la Sèvre. — Ainsi ferai-je de tous leurs souvenirs, s’écria-t-elle.

— Cette pierre aurait enrichi trois paroisses, dit Chesnel ; mais cela est bien.

— Chesnel, murmura Violante, vous lui direz que cette tête sanglante m’a fait mal ; mais ne lui parlez pas encore du diamant.

On entendit la voix de M. de Bochardière. Il accourait auprès de sa fille. La nuit allait venir, et il n’oubliait point l’heure.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Croix-de-Vie semblait tout en feu ; des milliers de luminaires brûlaient suspendus aux branches, éclairant de leurs reflets joyeux le château et sa noire ceinture de chênes. Les cinq paroisses sur lesquelles s’étendait le domaine se pressaient tout entières, hommes, femmes, enfans, dans l’avenue. Quand parut la voiture qui portait la jeune marquise, un long murmure s’éleva dans la foule^ pareil à celui du vent roulant dans la futaie. Quelques-uns ee mirent à courir devant la calèche, agitant de grandes torches flambantes de résine. Lorsqu’elle entra dans la cour, une vive fusillade éclata de toutes parts. Mme de Croix-de-Vie et le marquis se tenaient sur le perron. La douairière oublia la règle et l’usage ; dans sa frayeur de ne point montrer assez de joie, elle oublia sa dignité même et descendit précipitamment les degrés. Martel la suivait. La robe de Violante, qui montait au bras de son père, l’effleura. Il s’effaça devant ce flot de mousseline dont il allait être enveloppé ; le parfum qui s’en dégagea fit passer un voile devant ses yeux ;. il ne vit pas Violante lui sourire.

Il fallait bien obéir à la loi nouvelle que la douairière ne compre-