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premier qu’elle eût à examiner, celui de Nicolas Leblanc, qui fonctionnait depuis peu de temps à Saint-Denis. La commission a donné une description très exacte des appareils de Leblanc, une discussion approfondie de son système, et, ceci est peut-être un fait unique dans les fastes des sciences appliquées, cette description et cet examen sont encore vrais aujourd’hui : l’admirable procédé de Leblanc s’est conservé jusqu’à nos jours sans subir de changement notable. Qu’il nous soit permis de tracer ici, d’une façon plus exacte qu’on ne l’a fait encore et d’après des documens authentiques, l’instructive histoire de l’invention et de l’inventeur.

Nicolas Leblanc, d’après les qualifications qu’il se donne lui-même dans ses ouvrages, était « ancien officier de santé, chimiste, ancien administrateur du département de la Seine, membre de plusieurs sociétés de savans et d’artistes. » Il était déjà connu dans les sciences par des travaux sur la cristallographie ; il avait donné une méthode qui porte encore son nom, et qui permet d’obtenir des cristaux isolés, complets, dont on peut à volonté accroître le volume en se plaçant dans certaines conditions qu’il a indiquées. La cristallogénie a occupé la plus grande partie de sa vie, et c’est sans doute uniquement de ses recherches sur les cristaux qu’il attendait une renommée scientifique. Il avait observé le premier que plusieurs sulfates cristallisent de la même façon et peuvent se superposer les uns aux autres dans des cristaux de même forme. Il avait ainsi mis le premier les savans sur la voie d’une théorie nouvelle, la théorie de l’isomorphisme. Les mémoires qu’il avait pressentes à l’Académie des Sciences sur cette matière en 1786,1787 et 1788 avaient obtenu les honneurs de l’insertion dans le recueil des savans étrangers, sur les conclusions favorables de Haüy, Berthollet et Darcet. Un rapport signé au Louvre le 25 juillet 1792 par Daubenton, Sage, Berthollet et Haüy émettait le vœu que N. Leblanc fût invité à former une collection complète de tous les sels cristallisés. « L’exécution de ce projet, ajoutait le rapporteur, mériterait d’autant plus d’être favorisée par des encouragemens particuliers que déjà Leblanc y a employé un temps considérable, et que sa constance à suivre ce travail lui a fait faire des sacrifices auxquels son peu d’aisance ajoute un nouveau prix. » Le 27 prairial an II, le comité d’instruction publique de la convention nationale décidait que le citoyen Leblanc serait chargé de rédiger un ouvrage sur la cristallotechnie ; les circonstances empêchèrent cet ouvrage de voir le jour. Enfin, le 30 thermidor an X, un rapport présenté par Haüy et Vauquelin proposait à l’Académie des Sciences « d’inviter le ministre de l’intérieur à fournir au citoyen Leblanc les moyens nécessaires pour continuer ses recherches sur la cristallisation des sels, et pour imprimer son ouvrage en vue de confirmer et d’étendre la