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lorsqu’il passe des expériences du laboratoire à la fabrication en grand. Deux ans après, en 1793, les commissaires envoyés par le comité de salut public trouvaient l’usine en pleine activité, et le nouveau procédé avait l’honneur éclatant d’être déclaré le meilleur de tous ceux qui avaient été soumis à l’examen de la commission. C’est au moment où cette distinction si flatteuse semblait assurer la prospérité de l’établissement, au moment où des besoins nouveaux, immenses, assuraient à ses produits un inépuisable débouché, qu’une catastrophe inattendue allait ruiner toutes les espérances de Leblanc. La mort du duc d’Orléans, le séquestre rigoureux mis sur ses biens privèrent l’association des capitaux qui lui étaient indispensables. Leblanc avait eu l’idée de fonder une seconde usine à Marseille, à proximité des savonneries. L’idée était des plus heureuses ; un autre devait la réaliser plus tard et y faire sa fortune, tout en rendant un immense service à toute la Provence. Non-seulement Leblanc dut renoncer à ce projet, mais il fallut encore songer bientôt à liquider l’actif social : liquidation désastreuse ; les ustensiles, les meubles, les matières premières, les produits fabriqués furent vendus à la criée. La ruine de l’établissement était consommée sans retour, et dès lors le brevet même tombait dans le domaine public, l’inventeur se trouvant déchu de son privilège par suite de la non-exploitation de son procédé, dont le rapport de la commission avait fait connaître les moindres détails. En l’an VIII, une décision ministérielle réintégrait Leblanc dans la possession du local de l’usine de Saint-Denis ; c’est toute l’indemnité qu’il obtint pour le dommage qu’il avait subi de la publicité donnée à sa découverte. Il fit quelques tentatives pour installer de nouveau la fabrication ancienne dans ces bâtimens démantelés ; il ne parvint pas à réunir les capitaux nécessaires, et l’auteur de la plus grande des inventions modernes dans les industries chimiques mourut pauvre en 1806.

La mort de Leblanc ne désarma pas les rigueurs de la fortune qui l’avait poursuivi. Pendant que son procédé, employé de toutes parts, rendait à l’industrie d’incalculables services, sa famille ne retirait nul fruit de ses travaux, et sa découverte même lui était contestée. — En novembre 1856, l’Académie des Sciences était appelée à donner son avis sur une pétition adressée par la famille Leblanc à l’empereur Napoléon III, et l’honneur lui revenait ainsi de dire le dernier mot sur les origines de cette découverte. Toute la section de chimie fut chargée d’élucider la question ; voici les conclusions que présenta, au nom de la commission, M. Dumas, rapporteur, et qui furent adoptées par l’Académie : « 1° La découverte importante du procédé par lequel on extrait la soude du sel-marin