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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

joachimites qui nous ont été conservés, celui qui se rapproche le plus de l’ouvrage de Gérard est l’opuscule commençant par Helias jam venit, mentionné ci-dessus, p. 104.

À quelle date fixer la composition du Liber introductorius in Evangelium œternum ? Le quatrième document mentionné ci-dessus nous donne à cet égard l’indication la plus précise. Une des erreurs qu’on relève dans le Liber introductorius est de fixer le commencement du règne du Saint-Esprit à un terme de six années, à l’année 1260[1], ce qui reporte la composition du livre à l’an 1254. C’est aussi la date précise assignée par Guillaume de Saint-Amour[2], et bien connue de tous les savans qui ont traité des affaires de l’université de Paris et de la cour romaine à cette époque[3].

En réunissant les principaux faits qui sortent de cette discussion, nous arrivons aux conclusions suivantes :

1° L’Évangile éternel désigna dans l’opinion du XIIIe siècle une doctrine, censée de l’abbé Joachim, sur l’apparition d’un troisième état religieux qui devait succéder à l’Évangile du Christ et servir de loi définitive à l’humanité.

2° Cette doctrine n’est que vaguement exprimée dans les écrits authentiques de l’abbé Joachim. Joachim se contente de comparer l’Ancien et le Nouveau Testament, et ne jette que très timidement les yeux sur l’avenir.

3° Le nom de l’abbé Joachim fut relevé vers le milieu du XIIIe siècle par la fraction ardente de l’école franciscaine. On lui fit prédire la naissance de saint François et de son ordre ; on lui prêta à l’égard de François d’Assise un rôle analogue à celui de Jean-Baptiste à l’égard de Jésus ; enfin on donna à la doctrine qu’on lui attribuait le nom d’Evangile éternel.

4° Ce terme ne désignait pas, pour la plupart de ceux qui l’entendaient ou le prononçaient, un ouvrage distinct. C’était l’étiquette d’une doctrine, comme le mot des Trois imposteurs résumait l’incrédulité averroïste, sortie de l’étude des philosophes arabes et de la cour de Frédéric II.

5° Néanmoins, dans un sens plus précis, on donnait le nom d’Evangile éternel à la réunion des principaux ouvrages de Joachim.

6° Comme distincte de cette collection, il y eut une Introduction

  1. D’Argentré, p. 164. Quod Novum Testamentum non durabit in virtute sua nisi per sex annos proxime futuros, scilicet usque ad annum incarnationis M.CC.LX. Le texte de d’Argentré porte à tort 1269. Comp. d’Argentré, p. 105 haut ; Salimbene, p. 123,223,131,240.
  2. « Jam publiée posita fuit ad explicandum anno Domini 1254. » (De peric. Noviss. temp., 0pp., p. 38.)
  3. Hist. Litt. De la Fr., t. XX, p. 27-28.