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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

veau sacerdoce remplacera l’ancien ; on ne sera prêtre alors et l’on n’aura droit d’enseigner qu’à la condition de marcher nu-pieds[1].

« Jésus-Christ et ses apôtres n’ont pas été parfaits dans la vie contemplative. La vie active a sanctifié jusqu’à Joachim ; maintenant la vie active est devenue inutile ; c’est la vie contemplative, dont la tradition se conserve chez les successeurs de Joachim, qui justifie. D’où il suit que l’ordre clérical périra, et sera remplacé par un troisième ordre plus parfait, l’ordre des religieux, prédit par le psalmiste quand il a dit : Des cordes excellentes me sont tombées en partage[2]. Cet ordre se fortifiera justement quand l’ordre des clercs finira. Ce sera l’ordre des petits[3]. Dans le premier âge du monde, le gouvernement de l’église fut confié par le Père à certains grands hommes de l’ordre des gens mariés, et c’est ce qui fait la légitimité de cet ordre. Dans le second âge du monde, le règne a été confié par le Fils à certains de l’ordre des clercs, et c’est ce qui fait la gloire de cet ordre. Dans le troisième âge, le règne sera confié par l’Esprit-Saint à un ou à plusieurs de l’ordre des moines, lequel sera ainsi glorifié. Quand les prédicateurs de cet ordre seront persécutés par le clergé, ils pourront passer chez les infidèles, et il est bien à craindre, ajoutait-on, qu’ils ne passent chez eux pour les mener au combat contre l’église romaine[4].

« L’intelligence du sens spirituel des Écritures n’a pas été confiée au pape ; ce qui lui a été confié, c’est seulement l’intelligence du sens littéral. S’il se permet de décider du sens spirituel, son jugement est téméraire, et il n’en faut pas tenir compte. Les hommes spirituels ne sont pas tenus d’obéir à l’église romaine, ni d’acquiescer à son jugement dans les choses de Dieu.

« Les Grecs ont bien fait de se séparer de l’église romaine ; ils marchant plus selon l’esprit que les Latins et sont plus près du salut[5]. Le Saint-Esprit sauve les Grecs, le Fils opère le salut des Latins, le Père éternel veille sur les Juifs et les sauvera de la haine des hommes, sans qu’ils aient besoin pour cela d’abandonner le judaïsme[6].

« L’Ancien Testament, œuvre du temps où opérait le Père, peut être comparé au premier ciel ou à la clarté des étoiles ; le Nouveau Testament, œuvre du temps où opérait le Fils, peut être comparé au second ciel ou à

  1. D’Argentré a imprimé à tort independentium pour nudipedum. Il a retranché l’indication des passages visés par la censure et qui sont au nombre de cinq. On lit dans le quatrième document : « Quod nullus est simpliciter idoneus, etc., nisi illi qui nudis pedibus incedunt. » D’Argentré porte ici « idoneus Evangelio. » Nicolas Eymeric porte : « Quod nullus simplex homo est idoneus ad instruendum hominem alium de spiritualibus et æternis, nisi… »
  2. Je n’ai pas besoin de faire remarquer aux hébraïsans le curieux contre-sens que l’on commettait ici.
  3. Ordo parvulorum, allusion au nom des Frères Mineurs. Cf. Salimbene, p. 122.
  4. « Quod prædicatores et doctores religiosi, quando infestabuntur a clericis, transibunt ad infideles ; et timendum est ne ad hoc transeant, ut congregent eos in prælium contra romanam ecclesiam, juxta doctrinam beati Joannis, Apoc. XVI. »
  5. « Quod papa græcus (Nicolas Eymeric : populus græcus) magis ambulat secundum Evangelium (Meyenberg : Spiritum). Les centuriateurs de Magdebourg ont aussi : « Papa græcus. »
  6. D’Argentré, p. 165 ; au lieu de infime lisez in fine.