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REVUE DES DEUX MONDES.

L’abbé s’arrêta.

— Qu’était-ce donc ? dit Violante en riant tout à fait.

— C’était un air d’archange descendant d’en haut pour rendre ici la justice, murmura l’abbé. Oh ! quel regard ! On formait alors ici contre vous des projets qui ne vous plaisaient point. Je crois bien même qu’ils vous blessaient…

— Mortellement, interrompit-elle.

— Vous vous étiez promis de les rompre et de les punir. Vous aviez juré qu’on ne vous ferait point aimer mon pauvre cousin Martel malgré vous, ni l’épouser…

— Ni l’épouser sans l’aimer, dit Violante. Vous avez bien deviné tout cela. Qui vous croirait si habile à lire dans la pensée d’autrui ? Ah ! mon cousin, c’est bien votre air à vous et point du tout le mien qui est trompeur.

— Quel regard ! reprit l’abbé en levant les mains au ciel. Je me disais en ce moment-là : Les anges ne sont pas toujours si doux qu’on aime à le croire, — les archanges particulièrement, ma cousine ; ils sont justes, forts et purs. Vous veniez comme ils viennent, avec une mission, vous ne la connaissiez pas encore. Ah ! je tremblais alors pour Martel, car je savais bien aussi que vous alliez vous rendre la maîtresse de son âme et la gouverner aisément…

— Oui, dit Violante en riant de plus belle, et vous trembliez que ce ne fût par la force.

— Non, balbutia-t-il, non certainement, ma cousine.

— Force ou douceur, reprit Violante en laissant tomber sa broderie, je n’ai pas choisi, monsieur l’abbé. Le second moyen qui se présentait de soi-même à ma raison s’est imposé tout de suite à mon cœur. N’ai-je pas bien travaillé à guérir la pauvre âme malade ? Depuis trois mois, ai-je quitté Martel un moment ? J’ai vécu, nuit et jour, penchée sur ses pensées, et je les connais toutes… Si j’allais maintenant être vaincue ! Tout le monde ici veut bien louer mon ouvrage et croire au succès ; on voit déjà le ciel ouvert. On me dit que ce qu’il me reste à faire n’est rien ; mais si peu de chose que ce soit, si j’allais n’y plus réussir î

— Que dites-vous donc ? s’écria l’abbé. C’est impossible, puisque c’est Dieu qui vous a envoyée.

— Vous croyez cela, n’est-ce pas ? s’écria-t-elle. Dieu est avec moi, vous le croyez ?

— Moi, dit une voix rauque auprès du perron, dans le buisson de myrtes, je fais mieux que de le croire, j’en suis sûr !

Chesnel passait, il avait entendu les derniers mots de la marquise Violante, et il y répondait ; mais il ne s’en alla point aussitôt après : il demeura là parmi les myrtes, les yeux levés vers sa jeune maîtresse, la contemplant d’en bas avec l’attendrissement de la force