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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Mon fils ! cria la douairière, où est mon fils ?

— Il est chez moi, répondit Violante d’une voix claire, j’étais auprès de lui il n’y a qu’un instant. Il n’a pas cessé d’écrire. Puis, s’avançant vers la marquise : — Je vois bien que je suis la cause de toute cette alerte, dit-elle ; je savais que cette carabine était ici, et je ne voulais point qu’elle y restât. Je suis venue pour la prendre, mais ma manche a maladroitement accroché la détente ; je vous ai effrayée, ma mère !

— Ma fille, dit M. de Bochardière, êtes-vous donc folle ?

— Oh ! que non ! s’écria la douairière en saisissant la tête de Violante, qu’elle baisa au front ; elle est sage et vaillante au contraire, elle n’oublie rien, elle veille.

Chesnel avait relevé la carabine, il la regardait d’un air de méfiance. — Elle était donc armée, grommela-t-il. — Alors il prit un flambeau des mains des valets. Ses yeux se portèrent au-dessus de lui, cherchant les traces de la balle. Il poussa une sourde exclamation, et, touchant le bras de la douairière, il lui montra le portrait de Martel P"". C’était ce portrait que la balle avait atteint ; elle n’avait pas entamé que le cadre, elle avait aussi percé et déchiré la toile et frappé le premier des maudits à la tête. Le front du terrible seigneur était ouvert.

Un court silence régna d’abord dans la galerie. — Ma mère, dit Violante à la douairière, je veux vous reconduire chez vous. Mais avant de prendre le bras de sa belle-mère elle passa derrière Chesnel. — Restez ! lui dit-elle tout bas, votre maître est là. La douairière la retint auprès d’elle ; il fallut que Violante imaginât un prétexte pour recouvrer sa liberté, dont elle avait si grand besoin. Elle dit que Martel l’avait priée de relire avec lui ces fameuses lettres qu’il écrivait depuis la fin de l’après-dînée. La marquise croyait à ces lettres ; elle voyait à regret sa fille la quitter parce qu’elle se sentait un peu de tristesse, et elle s’en plaignait avec sa grâce accoutumée, heureuse, bien heureuse de n’être que triste ! D’un mot. Violante aurait pu changer toute cette mignarde mélancolie en désespoir et en épouvante ; mais elle s’était juré de garder pour elle seule ce poids terrible. La marquise ne soupçonnait rien. Aucun doute ne lui était venu après ce qu’elle nommait l’aventure de la soirée ; elle était remise de cette balle maladroite qui avait percé le portrait ; elle souriait de l’équipée de Violante et se demandait comment il se pouvait bien faire que le marquis n’eût pas entendu le coup de feu et ne fiât pas accouru comme tout le monde. Aucune voix secrète ne l’avait avertie qu’on la trompait, le pressentiment ne s’était pas levé dans l’âme de sa mère. Ah ! Violante ne lui enviait point le bienfait de cette tranquille