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aussi long que pour passer de l’état sauvage à l’état policé. Durant une longue période d’où certains peuples ne sont pas encore sortis, on s’est contenté des routes que le relief du sol avait comme tracées ; on a accepté les voies telles qu’elles étaient sorties des mains de la nature. Là où des plaines unies, de longues vallées permettaient de se transporter sans difficulté et sans encombre, là où s’abaissaient les chaînes de montagnes, où s’offraient des cols accessibles, des défilés praticables, s’établissait comme de soi-même un grand chemin. La configuration topographique marquait ainsi à l’avance les directions itinéraires, et l’on ne s’en écartait que dans un cas d’absolue nécessité. Les voyages s’opéraient alors presque toujours suivant certaines lignes ; on longeait les mêmes rivières, on côtoyait le même littoral, on gravissait les mêmes pentes, on s’engageait dans les mêmes détours. Il n’y avait donc pas, à proprement parler, de routes ; il existait seulement des itinéraires. Les tracés changeaient d’autant moins qu’on avait bien des motifs pour ne pas les abandonner ; il ne suffisait pas d’avoir fait choix d’une voie facile, il fallait pendant le trajet être assuré de rencontrer de quoi se ravitailler, de quoi s’abreuver, soi et ses bêtes de somme ; il était indispensable d’avoir de distance en distance des lieux convenables pour les haltes, des endroits commodes et bien défendus pour passer la nuit. Une fois la direction qui réunissait ces divers avantages reconnue et adoptée, on s’y tenait. C’est là ce qui explique comment en Asie, en Afrique, les voies commerciales n’ont pas subi de changemens pendant des milliers d’années. Depuis un temps immémorial, elles continuent à être suivies par les caravanes ; elles ont gardé le plus souvent les mêmes stations, déterminées par la présence d’oasis, de puits, de passages de rivière, qui subsistent aujourd’hui comme par le passé. Les races asiatiques qui ont, à diverses époques, pénétré en Europe s’avancèrent par les mêmes chemins et marchèrent sur les traces les unes des autres. Les migrations se sont opérées suivant des directions presque constantes que la seule inspection de la carte pourrait faire deviner, et qui représentent aussi le mouvement des armées dans les grandes expéditions militaires.

Les fleuves furent à l’origine les artères habituelles de communication ; on en longeait les bords, l’on en descendait ou remontait le cours : aussi les fleuves principaux de l’Europe marquent-ils la route qu’ont parcourue pour l’envahir presque toutes les hordes barbares. Dans l’ancien monde, partout où existe un long et large cours d’eau, — dans l’Assyrie, que traverse l’Euphrate, dans la Bactriane, que baigne l’Oxus, dans l’Hindoustan occidental, où coule l’Indus, dans l’Hindoustan oriental, que le Gange arrose, dans la