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LE DERNIER AMOUR.

pecte. Pourquoi non ? Cette petite lutte que je soutiens contre moi-même aiguise mon amour et le rend plus ardent encore. Je vous réponds que nous aurons, elle et moi, une belle et longue lune de miel. — Et il ajoutait avec un franc rire : Ami, je vous en souhaite une pareille !

La liberté d’esprit, à la fois candide et cynique, avec laquelle ce jeune homme me parlait désormais de mon prochain mariage avec sa mère adoptive me troublait bien un peu quelquefois. Tonino manquait de ce je ne sais quoi de voilé et de profond qui caractérise les âmes vraiment émues. Il y avait en lui comme une soudaine sécheresse sceptique dont il ne paraissait pas se rendre compte, mais qui sautait, à pieds joints sur le respect de soi et des autres. Il était impossible de le lui faire comprendre, car, bien plus que Félicie, il était incapable d’écouter avec fruit et de saisir le vrai sens des mots dans un certain ordre d’idées. Un réalisme brutal apparaissait tout à coup sous cette gentillesse d’expansion, et il me faisait rougir, moi, homme de cinquante ans, quand je le laissais se livrer à ses rêves de volupté.

Ces amours d’enfans, qui côtoyaient pour ainsi mes austères amours avec Félicie, avaient peut-être la rude vérité de l’âge d’or, et parfois je me demandais si l’amour jeune n’était pas le seul légitime, si cette pudeur recherchée que ne connaissent pas les mœurs rustiques n’était pas un résultat de la corruption sociale, enfin si, à force de vouloir relever ma fiancée par mon respect, je ne lui ôtais pas ce que son cœur avait de puissance et de spontanéité.

Un matin, Tonino vint me trouver embarrassé plutôt qu’ému.

— J’accours me confesser, dit-il ; il faut me laisser épouser tout de suite la Vanina. Nous ne pouvons plus attendre. Que ma cousine ne veuille pas de fêtes dans sa maison avant la fin du deuil qu’elle s’est imposé, c’est bien : je respecte cela ; mais nous pouvons bien nous marier sans violons, la fillette et moi. S’il faut un festin et un bal champêtre, on remettra ça au jour de vos noces.

— Voyons, enfant, répondis-je, est-ce que vous avez manqué à votre parole ?

— Non, mais je sens que je ne peux plus la tenir. J’ai pris quelques baisers à ma fiancée, chaque jour un peu plus prolongés que ceux de la veille, et que voulez-vous ? elle me les a rendus. Il faut me délier de mon serment ou me faire vite prononcer le serment conjugal.

— Je vais en parler à votre cousine.

— Oui, mais attendez ! Il ne faut pas la consulter, il faut lui dire que vous le voulez.

— Je ne lui parle pas sur ce ton-là, mon cher enfant !…