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lais Pitti. Il préféra rester simplement professeur à l’Académie des beaux-arts, tenant avant tout à sa liberté et réalisant ce qu’il écrivait un jour de lui-même : « je ne laisse pas rouiller mon esprit ; je garde et garderai mon âme à l’abri de tout ce qui pourrait l’abattre. Ni le temps ni les hommes n’auront sur moi cette victoire. Je me tais, mais je ne mens pas. » Le grand-duc Ferdinand du reste ne lui en voulait nullement de cette humeur libre et un peu farouche, et il le défendait quelquefois contre ceux qui auraient voulu le traiter en ennemi, comme il résistait à ceux qui auraient voulu imprimer le sceau de la vengeance et de la réaction au rétablissement de l’ancien ordre de choses à Florence.

C’est qu’en effet, entre toutes ces restaurations italiennes qui se signalaient par leurs puérilités et par leurs excès, la restauration toscane avait un caractère particulier de bénignité et de tolérance. Elle avait un peu l’apparence d’une résurrection paisible dans un pays de mœurs tempérées, de goûts fins et de vie facile. Elle avait en quelque sorte des traditions libérales dans le règne de Léopold, le grand-duc philosophe qui avait réformé la législation toscane avant la révolution française. Au premier moment, il est vrai, l’esprit de réaction avait menacé de faire invasion. Rospigliosi, envoyé avec le titre de commissaire à Florence, ne voyait dans la Toscane reconquise que le vieux patrimoine de l’Autriche, et n’avait d’autre pensée que de tout remettre entre les mains du clergé, d’effacer toute trace d’une civilisation nouvelle. Le grand-duc Ferdinand III, en rentrant à Florence, ne partageait pas ces fureurs. C’était un prince bienveillant, humain, éclairé et adouci par l’infortune, qui voulait fonder un gouvernement indépendant des prétentions de Rome, autant que possible indépendant de la suprématie autrichienne, et le vrai représentant de la politique toscane de cette époque, ce n’est pas Rospigliosi, c’est Fossombroni, le ministre universel du nouveau règne : personnage singulier, mathématicien, ingénieur, économiste et un peu poète comme tout Italien, sceptique, passablement matérialiste, grand partisan des réformes léopoldines et assez habile pour que sa longue administration ait paru être une victoire du libéralisme sur les idées rétrogrades. C’était quelque chose. Il ne faut pas s’y tromper cependant, ce libéralisme était un mirage, et c’est un Toscan qui a dit que ce mirage était l’œuvre des phthisiques reconnaissans de recouvrer la santé, des diplomates charmés d’oublier les affaires dans la galanterie, des jeunes misses sentimentales et des littérateurs frivoles recueillant leur érudition sur l’Italie au milieu d’un bal. Fossombroni a été un type de ce qui s’est appelé le despotisme éclairé ; tout son système consistait à croire que le pays le plus heureux est celui qui fait le