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LA GUERRE EN 1866.

puissance des engins, n’ont été un gage plus certain de la force. En 1859, nous livrions notre première bataille à Montebello le 20 mai, et la dernière à Solferino le 24 juin, après quoi l’Autriche recevait la paix à Villafranca. En 1866, la guerre était déclarée de fait le 14 juin par le vote de la diète qui ordonnait la mobilisation des armées fédérales, et les Prussiens occupaient Dresde le 18 du même mois ; ils livraient leurs premiers combats le 25, ils gagnaient la bataille de Sadowa le 3 juillet, et le 4 l’empereur François-Joseph réclamait la médiation de la France.

On ne saurait justifier au point de vue de la morale les thèses qu’a soutenues M. de Bismark, et les procédés qu’il a employés pour faire éclater cette guerre ; toutefois il serait absurde de ne pas reconnaître que, voulant la faire, le gouvernement prussien l’a préparée avec une prévoyance qui n’a été mise en défaut sur aucun point, et qu’il a conduit ses opérations avec une habileté et une énergie qui, vaillamment secondées par la nation tout entière, ont mérité les brillans succès qu’elles ont obtenus.

Les Autrichiens, qui n’avaient pas pour eux tous les avantages, mais qui auraient dû en avoir de très considérables, si leurs affaires eussent été aussi bien menées que celles de leurs adversaires, les Autrichiens ont été vaincus et réduits en une semaine. Ils ont dû commettre des fautes énormes, cela est certain, quoique l’on ne puisse dire encore à qui il convient d’en attribuer la responsabilité. Nous en savons cependant assez pour être dès aujourd’hui convaincus que ce n’est pas à l’armée qu’il faut s’en prendre, et qu’il est injuste autant qu’impolitique de vouloir lui faire porter les conséquences des fautes que d’autres ont commises. Cette armée vouée à la défaite a fait noblement son devoir. Dans aucune des rencontres où elle a été compromise et toujours contre des nombres très supérieurs, contre un armement dont la puissance était écrasante, on ne voit qu’elle ait manifesté le moindre symptôme d’humiliante faiblesse. Ce n’est pas elle qui est coupable, si elle ne s’est pas trouvée prête, si elle n’était pas pourvue du fusil à aiguille. Les pertes qu’elle a faites sont immenses, cent mille hommes peut-être tués, blessés ou prisonniers dans l’espace de huit jours ; mais la grandeur même du sacrifice enseigne que cette armée a conservé ses droits au respect, et que sur ses drapeaux couverts de tels flots de sang il n’y a place pour aucune souillure. La honte, si honte il y a, serait à ceux qui poursuivraient encore le courage malheureux, et elle retomberait d’un poids accablant sur l’Autriche, si la cour de Vienne croyait réparer son honneur en cherchant à flétrir ceux qui ont versé leur sang pour la défendre.

Xavier Raymond.