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l’espérer, cela tient à des causes toutes spéciales, et que nous allons indiquer.

Dès que la paix fut proclamée, on crut que cette série de crises dont le commerce avait tant souffert était enfin terminée. Un mouvement de baisse se déclara, dont la spéculation s’empara pour l’exagérer. De 30 pence, on tomba à 14, à 12 pence la livre ; une variation de prix aussi brusque et aussi subite n’avait aucune raison d’être : les stocks, du jour au lendemain, étaient invendables, toutes les transactions bouleversées. Ce fut l’origine d’un malaise considérable, de pertes immenses, de faillites inattendues. Cette panique ne pouvait durer ; quand on essaya de se rendre compte de la situation, on s’aperçut que non-seulement le coton n’encombrait pas le marché, mais qu’il était demandé de toutes parts d’une façon pressante, et que dans un avenir peu éloigné on allait se trouver en présence de besoins immenses à satisfaire. La spéculation choisit ce moment pour manœuvrer en sens inverse et faire tomber les esprits dans l’excès contraire ; les cours remontèrent aussi rapidement qu’ils avaient baissé, ils atteignirent presque le taux auquel on les avait vus vers la fin de la guerre ; les manufactures déployèrent une grande activité. Cette ardeur de fabrication était du reste plus impétueuse que sage, et on ne pouvait voir sans quelque appréhension l’industrie s’engager avec tant d’ardeur dans cette voie périlleuse. Naturellement, tous les yeux sont fixés sur les États-Unis. C’est d’eux que l’on attend des envois pour suffire à cette fabrication, et on se demande quels seront les effets de l’affranchissement des noirs sur la production cotonnière dans les anciens états esclavagistes.

L’affranchissement des noirs a été accueilli en Europe avec des élans de sensiblerie qui ont un moment rappelé les beaux jours de la Case de l’oncle Tom. L’Angleterre, qui est animée, comme on sait, des sentimens de philanthropie les plus purs et ne hait pas d’en faire un peu parade, ne pouvait à cette occasion se refuser l’innocent plaisir de se montrer émue, de se livrer à des démonstrations de joie, d’organiser des meetings, dont plusieurs, pour le même objet, ont eu lieu à Genève et dans les principales villes de la Suisse. Ces assemblées, où furent prononcés quelques beaux discours, rappellent le titre de la comédie de Shakspeare : Beaucoup de bruit pour rien. Elles ont abouti en définitive à de vaines manifestations, et à l’envoi de quelques vieux vêtemens. Les Américains sont médiocrement flattés de « ce grand mouvement des haillons, » rags movement, comme on a appelé de l’autre côté de l’Atlantique ces témoignages un peu puérils de sympathie pour les noirs. Les hommes d’état américains ont peu de goût pour les lieux--