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« Foin des illusions ! m’écris-tu. Pour qui s’obstine à croire au progrès, il n’y a plus de refuge, après tant de déceptions, que dans les spiritualités d’un mysticisme de commande. S’alambique l’esprit qui voudra ! Les chimères des souffleurs ne sont pas mon lait ; je ne sais pas oublier la terre en me berçant sur les nuages. »

Qu’il est doux, Paul, de vivre au village et de s’éveiller au chant des coqs ! On lit l’histoire au pied d’un arbre ; là, parmi des buissons, des genêts, entouré d’êtres immobiles qui ne laissent pas de vivre, enveloppé d’ombre et de silence, on entend parler la raison, et sans se réfugier dans les spiritualités on trouve à se consoler, on refait un avenir au genre humain. Lue au village, l’histoire prêche l’espérance ; elle enseigne que, s’il n’est lien de plus attristant qu’un fait, rien n’est plus rassurant qu’une longue suite de faits.

Si M. Adams avait des oreilles, voici ce qu’on lui dirait : — Tout ce qui naît de l’accident périt par l’accident. Dans l’ordre social comme dans la nature, les causes de dépérissement lent ou de violente destruction sont si multiples et si actives, que vivre est un effort perpétuel, un combat quotidien. Les institutions ont à se défendre contre les événemens, contre les intérêts, contre le temps qui flétrit tout, contre les passions qui, si on les laissait faire, ramèneraient tout au chaos, contre les espérances des ambitieux, contre les dégoûts des raisonneurs, contre les nouveautés toujours délicieuses à l’inconstance humaine. Quand une institution résiste à tant d’influences funestes, on peut dire qu’elle triomphe par un principe de durée qui est en elle et par une conformité secrète avec la raison qui conduit le monde.

Que la cupidité de Guillaume le Conquérant ait préparé de loin l’établissement des libertés anglaises, cela ne se peut contester ; mais que de hasards n’ont pas courus ces libertés ! Elles ont grandi dans les alertes. Plus d’une fois l’édifice inachevé parut pencher ; on vit trembler ses fondemens et le sol vaciller sous lui. Des souverains sans scrupules et non sans gloire, toujours occupés de s’agrandir, toujours attentifs aux occasions ; quarante ans de guerre civile, l’Angleterre inondée de sang, une noblesse moissonnée laissant le champ libre aux convoitises de la couronne ; au sortir de ces tourmentes, un jeune roi, refuge agréable aux lassitudes de tout un peuple et lui apportant avec la paix les tribunaux d’exception et l’arbitraire de la chambre étoilée. Puis bientôt une révolution religieuse où la tyrannie trouve son compte, un despote impatient de toute résistance se proclamant l’arbitre de la doctrine, accroissant son pouvoir de l’empire des consciences, faisant main basse sur les biens de l’église et engraissant de ces riches dépouilles une aristocratie nouvelle que ses libéralités semblaient vouer à l’éternelle ser-