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aussi sa leçon avec l’autorité de son âge et de son expérience. La malheureuse jeune femme ne sait plus à qui entendre.

À ces conseils de 1775 Joseph II en ajouta de plus développés qu’il laissa en 1777 entre les mains de sa sœur, et dont il avait gardé copie sous le titre de Réflexions données à la reine de France. Comme sa lettre, cet écrit fait autant d’honneur à son droit sens qu’à sa vive affection fraternelle. Je ne parle pas de la forme qui a toujours la même rudesse et brutalité de paysan du Danube. Passant en revue tous les devoirs que doit remplir Marie-Antoinette, et comme femme et comme reine placée à la tête de son sexe auquel elle doit le bon exemple, il insiste particulièrement sur sa tenue publique et privée, sur sa conduite envers son mari, sur le scandale de sa présence aux bals de l’Opéra.

Et toutefois, en même temps que Joseph II écrivait ces paroles confidentielles, la grande Marie-Thérèse rendait compte, le 21 août, à Marie-Antoinette, de l’enthousiasme que rapportait l’empereur de sa première visite à la cour de France. « Il est bien content du roi, surtout de sa chère et belle reine, disait-elle; s’il trouvait une femme pareille, il passerait d’abord aux troisièmes noces. » —Mais il l’eût voulu parfaite.

Ainsi, au milieu des rayons de lumière que répandent les documens nouveaux sur la première jeunesse, si pure, mais un peu légère de Marie-Antoinette; sur le procès de révision qui s’agite de nos jours, il y a des ombres. Les indiscrètes révélations que Joseph II redoutait, du vivant de sa sœur, la postérité les recueille. Le mot fâcheux qui lui a échappé, elle ne l’eût point dit le jour où, s’ ouvrant à Mme Campan et à son beau-père, elle voulait recevoir leurs complimens sur ce « qu’enfin elle était reine de France et qu’elle espérait avoir bientôt des enfans[1]. » Reine nominale, sans être jusqu’en 1777 la femme du roi, à côté d’une belle-sœur qui donnait des princes à la famille royale, elle portait alors au cœur la vague inquiétude et la douleur poignante d’une destinée non accomplie; il lui manquait cet intérêt domestique et en même temps public qui relève la dignité de la femme, la majesté de la reine, qui lui fait prendre au sérieux son grand rôle social. Elle cherchait à s’étourdir. Mère, elle fut transfigurée, et c’est seulement alors qu’elle devint entièrement elle-même, qu’elle grandit de tout l’orgueil de sa situation nouvelle. À ce mot fâcheux sur le roi opposez tant d’autres bonnes paroles sur Louis XVI, opposez ce qu’elle écrivait à Rome en décembre 1790, à la duchesse de Fitz-James :

« J’ai été si touchée ce matin que j’ai oublié de vous parler d’une

  1. Mémoires de Mme de Campan, t. Ier, p. 186.