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le parlement fédéral? La représentation dans ce parlement sera-t-elle proportionnée par le nombre des députés aux populations des divers états? C’est, dit-on, la prétention de la Prusse, et il est évident que dans ce système la majorité permanente et par conséquent l’omnipotence lui seraient acquises. Réussirait-on, malgré la Prusse, à maintenir un certain équilibre entre les voix attribuées aux divers états? On n’aurait fait que rentrer dans une fiction que la Prusse n’aurait pas de peine à rompre le jour où elle en serait gênée. Il faut donc en prendre son parti. Si par épuisement l’Autriche se résigne à l’exclusion prononcée contre elle, ou si elle est forcée de la subir par de nouveaux revers au bout d’une résistance prolongée, c’en est fait de l’ancienne Allemagne : la France aura pour voisine et concurrente une Allemagne prussienne.

Nous n’avons point la présomption d’indiquer la politique à laquelle la France doit se préparer en présence d’un événement si considérable et si soudain. Il fut un temps où la politique ne mesurait l’équilibre en Europe qu’à la proportion relative existant entre les territoires et les ressources militaires que pouvaient fournir les populations. En ce temps-là, la Prusse n’aurait point obtenu la direction politique et le généralat des armées allemandes, sans que la France eût réclamé une augmentation correspondante de territoire stratégique et de population militaire. A l’hégémonie prussienne on eût répondu par la revendication des frontières du Rhin. Certes ce n’est point nous qui voudrions invoquer le retour de l’étalon rigoureux de l’ancien équilibre. Nous pensions que l’Europe en avait fini avec ces trafics de territoires et d’âmes humaines qui changent arbitrairement les rapports réciproques des forces entre les divers états. Nous étions de ceux qui espéraient que les peuples se donneraient les uns aux autres les garanties les plus efficaces en cherchant le progrès de leurs ressources et l’accroissement légitime de leurs forces dans la pratique des institutions libres. Une Allemagne, par exemple, arrivant à l’union par la liberté, améliorant les conditions de son gouvernement général en demeurant fidèle à son génie fédératif et finissant par constituer en quelque sorte les États-Unis de l’Europe, ne nous eût inspiré aucune crainte. Les peuples qui se gouvernent eux-mêmes ne connaissent point l’inique manie des conquêtes. Mais en présence d’une Allemagne qui serait dominée par un pouvoir dynastique de droit divin appuyé sur des privilèges et des préjugés de noblesse, par un pouvoir accoutumé aux tentations et aux procédés d’une ambition peu scrupuleuse, il nous serait impossible de conserver une égale sérénité. L’arbitrage suprême des rapports entre les états étant, sous de tels régimes, exclusivement livré à la force, notre premier souci devrait être d’aviser aux forces de la France. En de telles situations, les peuples comprennent les services éminens que sont appelés à leur rendre leurs braves soldats. Avant tout, nous penserions à notre généreuse armée, nous entretiendrions en elle par les soins les plus vigilans donnés à son arme-