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toute une scène, tout un drame de passion surexcitée. Les yeux de Tonino disaient : Là ! puis ils cherchèrent à l’horizon le point opposé à celui oii le soleil allait disparaître, et ils formulèrent ce commandement triomphal : « Demain matin, réjouis-toi ! » — Les yeux de Félicie répondirent d’abord : « Non, je te hais ! « Un sourire de Tonino reprit : « Prends garde que je ne te prenne au mot ! » — Elle rougit. Ses yeux baissés parlèrent encore plus clairement ; ils disaient : « Je suis lâche, je viendrai. »

Il me remit les fleurs qu’il avait cueillies en me disant : — Elles sont en graines, à présent ; vous ne pourrez plus les étudier. — En botaniste, j’aurais du répondre que c’est ainsi précisément que je les voulais ; mais je répondis : — Au fait, les voilà passées. J’en ai vu de semblables, moins avancées, du côté de la Quille. J’irai voir demain matin, si elles sont ouvertes.

Et, demandant pardon à Tonino de la peine inutile que je lui avais laissé prendre, je posai les plantes sur le rocher, comme si je n’y tenais pas et les oubliais. C’était promettre de ne plus venir les étudier au lieu où nous étions.

Ils furent contens de moi, ces charmans amis de mon cœur ! ils se regardèrent encore à la dérobée. Les yeux de Tonino dirent encore ceci : « Le mari ne nous gênera pas. La fête sera belle, » et les yeux de Félicie dirent de leur côté : « Les joies dont tu vas m’enivrer effaceront le mal que tu m’as fait ce soir. »

Il y eut aussi un muet colloque de ce genre au moment où Tonino nous quitta. Il lui recommandait d’être tendre avec moi, et elle passa aussitôt sa main sous mon bras, afin de me faire croire qu’elle était heureuse de se retrouver en tête-à-tête avec son cher mari. Nous allions rentrer encore une fois à la maison comme une paire d’amoureux ! Elle n’osa pas le dire, mais la convulsive pression de sa main osa l’exprimer…

Durant le trajet qui nous restait à faire, elle fut atroce. Le sentier devenu trop étroit pour nous laisser passer de front, je voulus quitter son bras. — Non, dit-elle en marchant comme un chamois sur l’extrême rebord du précipice, sans vouloir me quitter ; je ne peux pas tomber, l’amour me porte.

— Quel amour ? lui demandai-je, préoccupé du danger qu’elle courait.

— À quoi songez-vous ? reprit-elle. Quel amour puis-je avoir dans le cœur ? Ah ! Sylvestre, c’est vraiment le seul que j’aie jamais connu. Il n’y a que vous qu’on puisse aimer avec toute son âme. Vous êtes la bonté, la patience, la sagesse et la tendresse. Vous êtes la grandeur et la vérité, vous ! Tout ce qui n’est pas vous est injuste, ingrat, égoïste, corrompu, cruel et lâche. Je hais et je mé-