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SOUVENIRS
D’ALLEMAGNE

BATAILLE DE LÜTZEN. — M. FRIES. — M. SULPICE BOISSEREE. — M. CREUZER. — M. HEGEL.

Comment passer quelques jours à Leipzig et se dérober au souvenir de la gigantesque bataille où succomba la fortune de la France? J’ai beau me dire que cette catastrophe était l’inévitable châtiment de l’ambition désordonnée de Napoléon, et qu’il serait absurde d’en vouloir à l’Allemagne parce qu’elle a énergiquement revendiqué son indépendance et secoué le joug qui pesait sur elle. Non, l’impartiale histoire ne peut absoudre Napoléon ni dans son dessein de la monarchie universelle, ni encore moins peut-être dans les moyens d’exécution. Un certain équilibre européen, avec quelques agrandissemens mesurés, selon les circonstances, voilà le seul plan juste et raisonnable au XIXe siècle. Ce plan pouvait d’autant plus suffire à une noble ambition que le premier consul trouvait la France sortie victorieuse d’une longue lutte, se pouvant enorgueillir de conquêtes légitimes et solennellement reconnues, en possession de frontières que Henri IV, Richelieu et Mazarin avaient à peine osé rêver, et que la révolution française, leur héritière, avait si promptement atteintes. Ainsi pense et parlerait au besoin le philosophe; mais le Français en moi souffre cruellement à la vue de ces lieux qui me rappellent de récens et lamentables désastres. Du haut de la tour de l’observatoire de Leipzig, j’aperçois distinctement le théâtre de la funeste bataille. Les alliés avaient, dit-on, trois cent