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mières armes et commença à se faire connaître par un petit écrit destiné à établir la Différence du Système de Fichte et de celui de Schelling. Il rédigea ensuite avec M. Schelling un Journal critique de philosophie. Il n’était encore en 1801 que privat docent, et il ne devint professeur extraordinaire qu’en 1805.

M. Hegel demeura à Iéna jusqu’à la bataille qui, en 1806, mit fin au vieux prestige militaire de la Prusse. Il m’a souvent raconté que c’est la veille même de cette bataille qu’il termina son premier grand ouvrage. Retiré la nuit dans un pavillon solitaire, il était occupé à en corriger les dernières feuilles, lorsqu’il entendit les premiers coups de canon. Cet ouvrage était la Phénoménologie de l’esprit, qui parut en 1807 sans faire beaucoup de bruit au milieu des tempêtes qui bouleversaient l’Allemagne.

Tels ont été les commencemens de M. Hegel et ses débuts dans la carrière qu’il devait parcourir avec tant de gloire. La guerre ayant dispersé l’université d’Iéna, il se chargea en 1808 de la direction du gymnase de Nuremberg, jusqu’à ce qu’en 1816 il fût appelé à la chaire de philosophie de l’université d’Heidelberg. Il y faisait depuis une année des leçons très suivies, dont l’Encyclopédie était le résumé.

M. Hegel était alors dans toute la plénitude de ses forces. En possession d’un système dont le principe ne lui appartenait pas, il mettait ses soins et son orgueil à imprimer à ce système une forme de plus en plus régulière et méthodique, ainsi qu’à l’enrichir et à le répandre en l’appliquant à toutes les sciences qu’on enseigne dans une université, comme déjà M. Schelling en avait donné le précepte et l’exemple dans ses Leçons sur les études académiques[1].

Du premier coup d’œil qu’on jette sur l’Encyclopédie des sciences philosophiques, et avant même d’en avoir sondé les profondeurs, on ne peut s’empêcher de rendre hommage à l’étonnante puissance d’esprit qui éclate partout, préside à la construction et à l’exposition du système. Le caractère le plus frappant de ce système est une symétrie, un parallélisme, un ordre inflexible, qui des grandes divisions de l’Encyclopédie se réfléchit dans leurs principales subdivisions, et de celles-ci dans leurs applications et jusque dans les moindres détails. Cet ordre est l’ordre ternaire. Tout se fait, tout marche, tout se développe trois par trois. C’est précisément ce bel ordre qui éveilla mes premiers ombrages et me rendit suspect le système entier.

Selon M. Hegel, la philosophie a trois grandes parties : 1° la lo-

  1. Vorlesungen uber die Methode des academischen Studiums, Tübingen 1803, et 2e édit. 1813.