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en ce moment deux conceptions contradictoires : la théorie d’un équilibre européen basé sur des arrangemens concertés entre les maisons souveraines, et le principe nouveau qui attribue aux nations le droit de rompre les traités conclus par ceux qui ont eu jusqu’ici pouvoir pour les représenter. Prise à la lettre, la seconde thèse serait la plus audacieuse négation de l’ancien régime; jugée au point de vue des institutions qui sont restées debout et de plusieurs intérêts qui sont encore respectés, le droit des nationalités ne soutiendrait pas la critique, et cependant cette espèce de dogme, qui semble heurter la raison, s’est emparé si fortement des consciences, qu’il faut absolument compter avec lui. Il met en mouvement rois et peuples, et il est probable que chez beaucoup de ceux qui le repoussent existe le pressentiment que l’avenir lui appartient.

Cette révolution dans un ordre d’idées fondamentales, préparant une révolution dans les faits, est un phénomène social des plus curieux : notre époque en recevra un grand caractère. L’action est encore dans le nuage, comme le combat enveloppé par la fumée du canon. Il y aurait à savoir comment s’est produit le principe des nationalités, quelle est sa véritable signification, comment la confusion signalée plus haut se dissipera, à mesure que le nouveau droit international, prenant le dessus, se mettra en harmonie avec l’ensemble des faits politiques et sociaux. J’ai essayé de réunir à ce sujet quelques faits oubliés; je voudrais tracer une voie d’études. Si une question à éclaircir a jamais eu un caractère d’urgence, c’est à coup sûr celle que la guerre vient d’inscrire à l’ordre du jour en caractères sanglans.


I.

Les monarchies modernes se sont formées, comme chacun le sait, par l’absorption des élémens féodaux. L’idéal de la grandeur souveraine se résuma longtemps en ces deux points : gouverner les sujets d’une manière aussi absolue que possible, et agrandir autant que possible son territoire pour augmenter le nombre de ses sujets.

La transition de l’âge féodal au régime de la monarchie absolue fut une époque pleine de calamités et de souillures. Les princes qui entreprirent de réaliser à leur profit la nouvelle conception sociale étaient infestés d’une science pernicieuse, ébauchée vers la fin du moyen âge dans les petites cours d’Italie, et constituée par Machiavel d’après les exemples des Borgia et des Médias, des Ferdinand d’Aragon et des Louis XI, de la maison d’Au-