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qui la réclament; il faut, pour qu’un peuple soit digne de former une nationalité, qu’il sache s’affirmer par des sacrifices. » On pourrait citer vingt phrases de cette nature qui sont moins des définitions que des commentaires. Dans toutes, il y a du vrai; elles correspondent toutes à un sentiment instinctif chez l’homme, qui s’est combiné avec les aspirations démocratiques et en a tiré une grande force. Aucune de ces définitions ne soutiendrait un examen rigoureux.

Si on a tant de peine à préciser le sens du mot nationalité, c’est qu’on le considère comme s’il exprimait un fait existant, comme s’il avait déjà une valeur effective et pratique, tandis qu’il ne correspond qu’à une aspiration vague, à un desideratum. On a pris l’habitude d’appeler principe ce qui n’est encore qu’une idée, destinée, il est vrai, à devenir principe. Fruit tardif de 1789, l’utopie des nationalités est une manière tolérée de revendiquer la souveraineté des peuples, non-seulement en ce qui concerne leur gouvernement intérieur, mais dans les relations d’état à état. C’est une protestation instinctive contre le fait dominant; voilà pourquoi il est impossible aujourd’hui de produire une définition qui soit rigoureusement en harmonie avec les faits.

Il ne faut donc pas chercher à exprimer ce qu’est aujourd’hui la nationalité; mais on peut dire ce qu’elle sera quand l’idéal de la démocratie aura pris corps et engendré un nouveau droit des gens. Alors la nationalité sera l’autonomie dans toute la plénitude du mot; elle aura pour raison d’être la sympathie et la solidarité des citoyens sous des gouvernemens franchement acceptés. Des provinces, des peuplades, se sentant attirées l’une vers l’autre en vertu d’un sentiment ou au nom d’un intérêt, auront pouvoir de s’organiser en toute liberté et conformément à leur idéal; elles deviendront un être collectif, libre et responsable de ses actes, étant à peu près soumis à l’égard des autres sociétés de même nature aux mêmes devoirs que l’être individuel à l’égard des autres individus. Ces agrégations, étant essentiellement volontaires, ne seront pas immuables; elles pourront se fusionner pour s’agrandir ou se subdiviser en plusieurs groupes également libres, lorsque des déplacemens d’intérêts ou des antipathies survenues auront fait sentir le besoin du divorce. Il est probable d’ailleurs que ce genre de sécession sera réglé par une procédure que le temps et l’expérience contribueront à fixer. Ainsi compris et impliquant d’une manière aussi absolue l’indépendance des peuples, le principe des nationalités sera en quelque sorte l’antithèse du principe antérieur qui découle de la conquête, et a donné à l’Europe sa constitution politique actuelle. La patrie, selon l’ancien type, aurait pu