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pour bien comprendre cette solidarité, pour la saisir dans son ensemble, c’est aux origines qu’il faut remonter, et étudier la plante, qui est comme l’essai de la nature, l’ébauche de l’organisme, le véritable prodrome de la vie universelle. C’est dans cet esprit qu’a été tentée l’étude qu’on va lire c’est-à-dire l’histoire d’un seul arbre, d’un chêne, choisi comme type de tout un embranchement[1], dont nous allons raconter la naissance, le développement et la mort.

La vie végétale, qui paraît si simple au premier abord, est cependant très complexe. Cette complexité provient de ce que chez elle, comme dans le règne animal, se manifeste le phénomène remarquable de la synthèse de vies particulières dont le groupement simule un tout individuel. La vie végétale en effet s’offre sous deux formes spéciales qui, au point de vue de la physiologie, présentent une importance de premier ordre. Ces deux formes sont la vie isolée[2] et la vie agglomérée.

La vie isolée est relativement représentée par la plante annuelle dont tous les organes concourent à la constitution d’une seule individualité. Un liseron par exemple et un haricot, qui naissent et meurent dans l’espace d’une saison, peuvent donner l’idée de ces plantes dont la végétation à cycle borné condense dans une période fixe le développement de toutes les énergies vitales, tandis que les plantes vivaces, telles qu’un rosier ou un chêne, figurent une autre classe de végétaux dont l’ensemble cache, sous une apparente unité, l’agglomération d’innombrables plantes annuelles qui se développent chaque année sur les couches superposées des végétations précédentes. Un arbre au printemps n’est pas un simple végétal, c’est un groupe de végétaux amoncelés sur lequel se répand chaque année une sorte d’alluvion de sève émergeante, fournissant à tout un peuple de jeunes rameaux un héritage de vie que ceux-ci transmettront à leur tour à une génération nouvelle.

Or dans ce groupement d’existences distinctes, dans cette super-

  1. Le règne végétal tout entier se divise en deux vastes embranchemens : les phanérogames et les cryptogames. Les phanérogames, ainsi que le nom l’indique, sont des végétaux à fructification visible, tels que la plupart de ceux qui nous entourent (chêne, rosier, renoncule, etc.). Aux cryptogames (mot qui signifie littéralement « noces cachées») appartiennent des végétaux d’un ordre inférieur et dont la fructification est invisible ou peu apparente, tels que les champignons, les moussais et les algues.
  2. Pour la vie isolée elle-même, nous aurions des réserves à faire. Tous les lecteurs de la Revue se rappellent l’étude si remarquable de M. Claude Bernard sur le Curare, livraison du 1er septembre 1864, où le savant physiologiste établit que « l’organisme animal n’est qu’un agrégat d’élémens organiques, ou mieux d’organismes élémentaires innombrables, véritables infusoires qui vivent, meurent et se renouvellent chacun à sa manière. » Eh bien ! il en est de même, à un plus haut degré encore, dans le règne végétal. Dans la plante la plus simple, il est une foule d’organes qui, juxtaposés, vivent incontestablement d’une vie indépendante.