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lissez votre modèle. C’est de l’architecture que nous parlons ici : il en est autrement de la peinture. Les tableaux ne perdent jamais rien à être copiés : on peut les reproduire de toutes les façons, par tous les procédés, sans qu’ils en souffrent la moindre atteinte. Et supposez la meilleure des copies exposée en regard, même à côté de l’original, bien loin de lui porter dommage elle le met en valeur, elle en fait ressortir certains mérites qui lui appartiennent en propre, certaines délicatesses tellement individuelles qu’elles sont inimitables. C’est que le peintre est son propre interprète ; il entre directement en rapport avec le spectateur ; c’est sa main, son pinceau, son esprit, sa personne, que vous lisez sur sa toile ; on peut tout imiter, tout contrefaire, tout, excepté sa touche : sa touche c’est lui-même. L’architecte au contraire n’est jamais avec vous dans ces rapports intimes. Toujours entre vous et lui se glisse un tiers, un interprète. Son œuvre une fois construite n’est plus son œuvre personnelle ; elle est la traduction de sa pensée écrite par une main étrangère. Si donc vous chargez après coup une autre main étrangère de reproduire cette traduction, il n’y a plus entre les deux œuvres la même différence qu’entre la copie d’un tableau et le tableau lui-même ; ce sont deux copies en présence. Il s’établit entre le monument original et la contrefaçon une sorte d’identité mathématique qui tourne au détriment du monument original. Son titre s’avilit ; il n’a plus ni la même importance ni le même intérêt, et d’un autre côté le monument nouveau ne recueille point tout le profit du tort qu’il fait à l’autre. Le spectateur n’accueille qu’avec indifférence, d’un œil blasé, ces nouveautés qu’il sait par cœur : il n’y voit qu’un aveu d’impuissance, n’y porte qu’un regard inattentif ou dédaigneux.

Dira-t-on que nos deux pavillons ne sont pas des copies, qu’ils imitent et rappellent le pavillon de Lemercier sans le reproduire trait pour trait ? Nous en tombons d’accord : ils ont la taille infiniment moins svelte ; ces colonnes en saillie les épaississent outre mesure, et leur font une sorte de ventre le plus disgracieux du monde. Quant à l’étage supérieur, les cariatides qui le supportent n’ont avec celles de Sarrazin qu’une parenté très éloignée. Elles ne sont pas de même race. L’ajustement, la pose, l’esprit, le caractère, tout est d’une autre qualité. Ce ne sont plus ces figures hardies, originales, artistement accouplées : ce sont des femmes, de style soi-disant grec, non sans mérite assurément, mais froidement conçues, isolément posées et étrangères au monument. Il n’en est pas moins vrai qu’à première vue ce qui frappe ce sont les ressemblances. On ne voit que des masses à peu près identiques, de grandes cariatides soutenant un fronton, encadrant trois fenê-