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tif[1], en faisant abstraction des provisions d’eau et de charbon. Dès lors, en nous rappelant qu’un cheval pèse en moyenne 600 kilogrammes, on voit que la différence disparaît tout à fait entre le quadrupède et la machine. Pour l’oiseau, le rapport entre le poids du moteur et sa puissance doit être beaucoup plus avantageux. Que l’on songe en effet aux efforts incroyables dont il se joue pour ainsi dire! Le condor monte en quelques minutes à plusieurs kilomètres de hauteur; l’hirondelle ne se lasse pas, pendant quinze heures de suite, de décrire ses courbes rapides et gracieuses. Pour planer seulement, l’oiseau est obligé de s’appuyer continuellement sur son coussin d’air par des battemens d’ailes très énergiques, quoique souvent imperceptibles pour l’observateur. Navier a calculé que l’aigle, qui vole avec une vitesse de 15 mètres par seconde, produit un effort suffisant pour élever dans le même temps son propre poids à 390 mètres de hauteur; en admettant que l’aigle pèse 5 kilogrammes, cela supposerait une force de 26 chevaux.

Cette évaluation est certainement exagérée, car un aussi grand déploiement de force exigerait une nourriture proportionnée, plus abondante que ne l’est celle des oiseaux ; de plus, il est presque certain que ces derniers se gonflent d’air, qui les rend plus légers lorsqu’ils volent ; l’effort qu’ils font pour se soutenir est donc en réalité moindre qu’on ne le croyait. Néanmoins l’organisation de l’oiseau considéré comme moteur est bien supérieure à celle des quadrupèdes, retenus à terre par ce que M. Michelet appelle la fatalité du ventre. Elle est également bien supérieure à tout ce que nous montrent les moteurs fabriqués par l’homme. On a calculé qu’une machine susceptible d’enlever non-seulement son propre poids, mais encore une nacelle occupée par un homme, devait peser moins de 10 kilogrammes par cheval-vapeur; nous voilà bien loin de ce qui est réalisable avec les machines en usage dans l’industrie et la navigation.

L’organisation de l’insecte est aussi pleine de mystères que l’est celle de l’oiseau. L’énergie qui réside dans ces petits êtres chétifs et bizarre? a déjà excité l’étonnement de plus d’un observateur. « Si on voulait comparer leurs charges avec leurs corps, dit Pline le naturaliste en parlant des fourmis, on conviendrait que nul autre animal n’est doué de forces aussi considérables en proportion. » Walter Scott énonce la même idée en d’autres termes. On trouve dans Peveril du Pic un passage où le romancier anglais s’arrête sur la force des insectes. « Placez, dit-il, un escarbot sous un grand chandelier, et l’insecte le fera mouvoir pour s’échapper; ce qui est, toute proportion gardée, la même chose que si l’un de nous ébranlait avec son dos la prison de Newgate. » Linné fait remarquer qu’un éléphant qui aurait relativement la même force qu’un lucane ou cerf-volant ébranlerait une montagne.

  1. Le cheval-vapeur représente un travail qui élève 75 kilogrammes à la hauteur de 1 mètre en une seconde.