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particulièrement dans les grands dépôts des archives, de trier avec une critique impartiale ce qui devait surnager, et de le mettre en lumière par des citations désintéressées, laissant la parole aux contemporains alors qu’ils se montraient témoins dignes d’être écoutés et suivis. C’est ainsi que M. Mignet nous donna, comme modèle, son beau travail des Négociations relatives à la guerre de la succession d’Espagne. La méthode, une fois inaugurée avec tant d’éclat, fut ensuite fécondée par des applications diverses : M. Pierre Clément fut un des premiers à s’en servir pour élargir et féconder l’histoire de l’administration et des finances, de telle sorte que ce champ particulier ne se séparât pas du grand domaine de l’histoire générale. Ce fut le caractère de son excellent volume sur la Vie de Colbert, et il a continué depuis à faire un pareil usage de tout un vaste ensemble de connaissances spéciales. C’est aussi ce qui distingue son nouveau volume de La police sous Louis XIV.

Sans devenir infidèle à son titre, l’auteur de ce livre, en partie connu des lecteurs de la Revue, a pu offrir un multiple aspect du règne intérieur de Louis XIV. L’administration de la police était déjà devenue au XVIIe siècle une sorte de ministère, Saint-Simon le dit lui-même, grâce au pouvoir croissant de l’autorité centrale, grâce à l’étendue de l’œuvre qu’un gouvernement maître de son action n’hésitait pas à entreprendre, grâce enfin à l’intelligence, à l’énergie, au zèle patriotique des hommes à qui cette administration avait été confiée. L’œuvre à accomplir était plus complexe alors qu’à toute autre époque, car il s’agissait d’ordonner suivant des exigences absolument nouvelles une société vive, ardente, prête à s’élancer dans les voies encore inconnues d’un développement infiniment varié, mais qui n’avait pas encore subi la règle et n’était pas accoutumée à la répression. Après la tumultueuse époque des guerres religieuses qui avait occupé le dernier tiers du XVIe siècle, le règne de Henri IV avait à peine, vers la fin, amené quelque solide tranquillité à l’intérieur. La minorité de Louis XIII avait été de nouveau pour la noblesse le signal d’une réaction de nature à entretenir dans l’administration de l’état et dans les mœurs mêmes de la nation une habituelle inconstance. Le ministère du cardinal de Richelieu n’avait été qu’un temps de lutte opiniâtre, qui, ayant pour but de déraciner certains restes du passé, avait sans cesse remué le sol sans permettre aux semences nouvelles de s’y développer encore. Voiture, rencontrant un jour dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre deux montreurs d’ours avec leurs bêtes muselées, les fit entrer à l’hôtel de Rambouillet, et monter dans une chambre où la maîtresse de la maison lisait, le dos tourné aux paravens. Ils se dressent sur leurs pattes ; elle entend du bruit, se retourne, et voit, dit Tallemant, deux museaux au-dessus de sa tête. Fidèle image de la rudesse persistante de ces mœurs que Catherine de Vivonne et Julie d’Angennes essayaient d’adoucir. Aux farouches soldats des guerres religieuses elles avaient commencé de faire déposer éperons et lourdes épées de combat; mais la fronde survint, qui raviva la guerre civile et jusqu’à l’émeute dans