Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/808

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
804
REVUE DES DEUX MONDES.

l’enfant prodigue, rapporter au bercail sur mon épaule la brebis égarée ; mais en surprenant, au lieu d’un rayon de reconnaissance, un éclair de volupté dans ces yeux d’azur, je ne sais quelle secrète horreur s’était emparée de moi, comme si j’allais, en partageant un désir sacrilège, souiller la plus noble victoire de l’âme, le pardon de la cliarité !

C’est alors que je compris enfin ce qui s’était brisé en moi. Je m’étais cru ravivé et renouvelé par les eiïorts de ma volonté ; je croyais pouvoir sauver cette âme sur laquelle j’avais juré de veiller et d’étendre la protection infatigable de l’amour. L’amour m’échappait. .. Le dégoût s’emparait de moi à la pensée d’unir mes lèvres à ces lèvres souillées, de confondre dans un baiser l’âme d’un homme sans reproche et celle d’une femme avilie. Qui d’elle ou de moi était devenu un cadavre ? L’abîme du tombeau s’était ouvert entre nous ; à la pensée de le franchir, tout mon être se révoltait. Ah ! c’est bien elle qui était morte ! En simulant la vie, le spectre devenait effrayant ; c’était l’ombre de mon passé qui se levait devant moi pour me dire : Unissons-nous dans la mort ! — Mais la mort est sacrée ; elle est le lit nuptial des âmes qui se sont chéries saintement. Elle n’est pas la couche ardente des amans enivrés. Point d’arrivée et point de départ pour les étapes de la vie éternelle, elle s’exprime par le majestueux abandon de la personnalité apparente. Elle a ses lois à paît, aussi mystérieuses que celles de Dieu même, et si cette loi est l’amour encore, c’est avec dés manifestations que les hommes ne connaissent pas.

Qu’y avait-il de commun désormais entre la chair de l’amante de Tonino et la mienne ? Ce lien était rompu. Comment avais-je pu me flatter de le renouer ? Toutes les eaux du Léthé, toutes les eaux du ciel même ne pouvaient laver la souillure de cette chair profanée. Était-ce préjugé ? Je me posai sincèrement la question. Je m’élevai aux plus hautes intuitions de l’idéal. Je vis la figure de Jésus traçant ces mots sublimes : « que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Je ne la vis pas conduiï^ant au lit de l’époux outragé la femme adultère. Oubli et pardon, oui, dans le sens de la charité ; mais dans celui de l’hyménée, non… cela est impossible à la nature humaine, à moins d’une grossièreté d’appétit dont l’homme civilisé rougit, s’il y succombe !

Je m’efforçai de rêver l’état de sainteté absolue, l’oubli entier, complet, formel, de l’égoïsme et du sentiment de la propriété. Ma femme m’aimait encore, je le voyais bien ; elle m’avait toujours aimé ; elle avait été fascinée, envahie, égarée ; elle n’attendait pour redevenir pure que le retour de ma tendresse sans bornes. C’était le signe de ma confiance en elle qui seul pouvait lui rendre la con-