Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’entendement, et la philosophie, une conception des choses. J’ajouterai que là est la raison cachée, mais décisive, qui empêche qu’on ne puisse arriver à la philosophie positive par la psychologie.

Ce n’est point par subtilité et par chicane que j’ai argumenté M. Mill sur sa définition de la philosophie d’une science en particulier; mais c’est que le point de vue psychologique et logique qui est propre à M. Mill renferme la cause profonde de ses dissentimens avec M. Comte, celle qui fait qu’il appartient à un autre mode de philosopher. Cette divergence, qui est à l’origine, se montrera sous différentes formes dans la suite de ce travail.

C’est la définition réelle, non formelle, objective, non psychologique, qui seule se concilie avec l’histoire philosophique. En effet, dans le développement de la pensée humaine, avant le temps de la philosophie positive est le temps de deux grandes philosophies, la philosophie théologique et la philosophie métaphysique. Là est manifeste l’impuissance de considérer la philosophie soit comme l’étude de l’homme en général, soit comme une sorte de logique générale, et historiquement aussi bien que philosophiquement ce dont il s’agit dans la philosophie, c’est une conception du monde.

La philosophie théologique conçoit que le monde est mû, ordonné, gouverné, créé par des volontés dont le modèle est dans la volonté humaine; elle admet entre l’homme et ces volontés des communications qui lui révèlent les hauts mystères; elle s’appuie souvent sur des livres dits inspirés, d’où se forme le dogme, variable suivant les religions. Le dogme est un vrai traité de philosophie. Le polythéisme, le mosaïsme, le brahmanisme, le zoroastrisme, le boudhisme, le christianisme, le mahométisme, nous offrent autant de systèmes étroitement liés les uns aux autres. Les conceptions théologiques sont la forme la plus ancienne de la pensée commençant à spéculer, à généraliser; et, sans être en état d’affirmer que cette pensée n’a pu avoir d’autre début, il est établi historiquement qu’en fait elle n’en a pas eu d’autre.

La philosophie métaphysique est aussi une conception du monde, mais différente de la précédente dans son origine et dans ses résultats. Elle est née d’une autre impulsion de l’intelligence; tandis que, dans le développement primitif, l’impulsion théologique de l’intelligence fut nécessairement de croire que tout était volonté, dans le développement secondaire l’impulsion métaphysique de l’intelligence fut nécessairement de penser que tout ce qui lui paraissait logiquement raison des choses devait être raison des choses effectivement. Il a fallu bien des siècles et bien des travaux pour détruire la force prétendue du raisonnement à priori. Par ce changement, la philosophie substituait au principe de l’autorité divine