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coups de fortune que l’avenir lui prépare, jamais, sous aucun régime, un concours plus étrange de circonstances favorables ne mettra dans les mains du pouvoir les flots d’or qui depuis quinze armées ont été répandus sur le Louvre et sur les Tuileries. Louis XIV lui-même et tous nos rois les moins soumis aux règles de finances n’ont jamais, en si peu d’années, disposé pour bâtir et orner leurs palais de sommes aussi fastueuses, et quant à ceux de nos monarques qui n’ont régné que sous l’égide d’une constitution, on sait de quelle manière leur étaient marchandées ces sortes de dépenses. Il a fallu les hasards de ce règne pour que, sans embarras, sans remontrances, par la vertu d’un mécanisme constitutionnel tout nouveau, dépassant en largesses les plus riches épargnes de la monarchie absolue, un crédit à peu près sans limites fût ouvert au pouvoir pour accomplir les plus somptueux travaux. Que de bienfaits pouvaient sortir d’un pareil réservoir ! Quel renouvellement des meilleures traditions, des plus saines études ! Quel réveil de ce noble art français qui n’a pas dit son dernier mot, qui ne demande pas mieux que de vivre pourvu qu’on sache le cultiver, de vivre non tel qu’il fut, mais tel qu’il devrait être, en conservant ses lois et ses principes, pour se prêter à notre temps ; de cet art dont l’accent délicat, intelligent et ferme se trahit et s’accuse aussi bien dans les élégances chevaleresques de la seigneurie d’Écouen que dans les sévérités du cloître des Invalides ! Voilà ce que ces trésors auraient dû nous donner ! Et dire qu’ils n’auront servi qu’à stimuler le goût le plus frivole, le goût du faste et du clinquant, à détourner des voies sévères non-seulement la jeunesse, mais nos meilleurs artistes, à les surexciter, à les lancer sans frein et malgré leurs instincts, malgré l’habileté persévérante de leur ciseau, en pleine décadence, en plein courant de bas-empire !

Devant de tels mécomptes, comment se consoler ? Nous n’osons vraiment dire quel chagrin c’est pour nous que cette occasion manquée ! Si du moins nos regrets s’arrêtaient à la barrière du Louvre ! mais, hélas ! au-delà du palais vient la ville ! En passant de ce Louvre nouveau, de ces nouvelles Tuileries, dans le nouveau Paris, nous n’avons certes pas sujet de reprendre courage. Là aussi, grâce au même concours de chances merveilleuses, grâce encore, car il faut être juste, à d’audacieuses combinaisons, non pas toujours fondées sur les meilleurs moyens, mais poursuivies avec un rare mélange d’énergie, de persévérance et de sagacité, il a pu s’accomplir depuis ces quinze années des travaux gigantesques qui passent la croyance, et dont naguère encore on aurait prudemment confié l’entreprise à deux ou trois générations ne perdant pas leur temps. Bien que dans ces travaux le but soit souvent dépassé, bien