Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/1016

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sieurs inconséquences de situation et d’idées embarrassent visiblement M. Bright. Pour plaire à la multitude, M. Bright est obligé de réclamer l’extension du suffrage par des argumens théoriques, rationnels, logiques, applicables au suffrage universel, et pourtant la réforme qu’il demande en réalité, pour pouvoir conserver la chance d’être patronnée par le parti whig, doit se tenir bien en-deçà du manhood suffrage. Sur la même plateforme réformiste, on voit donc paraître des hommes d’opinions très tranchées, par exemple M. Beales, le chef de la ligue qui exige le suffrage universel, M. Forster, qui appartenait à la dernière administration de lord Russell, qui n’ajoutait dans son bill que trois cent mille électeurs aux constituencies, et M. Bright, qui raisonne comme M. Beales et conclut et vote comme M. Forster. Gêné dans l’argumentation, M. Bright essaie de se tirer d’affaire par l’invective : il fond sur les tories avec violence, il attaque lord Derby ; sa bête noire est surtout M. Lowe, un des plus grands talens du parti libéral, qui s’est montré si éloquent dans la discussion du bill de M. Gladstone : esprit libre de préjugés, capable de dominer par la solidité de ses idées les intelligences les plus positives et de charmer les intelligences les plus cultivées par l’art tout à fait distingué de sa méthode et de ses formes oratoires. Toutes ces violences de langage de M. Bright manquent l’effet, d’abord parce qu’elles passent la mesure, parce qu’elles ne peuvent avoir été justement encourues par un parti et un cabinet qui n’ont encore rien fait, ensuite parce qu’elles s’exhalent dans un milieu qui est loin d’être monté au même degré d’excitation et de chaleur. Un seul ministre jusqu’à présent a pris la parole en public depuis la fin de la session : c’est lord Stanley, qui assistait l’autre jour à Liverpool à un dîner donné aux hardis hommes d’affaires et d’industrie qui ont réussi, après tant d’efforts, à joindre par les câbles électriques l’Angleterre aux États-Unis. On ne saurait imaginer un contraste plus heureux à la fermentation un peu artificielle des harangues des meetings réformistes que le franc, naturel et placide discours de lord Stanley. Le présent ministre des affaires étrangères n’a, comme homme d’état et comme orateur, d’autre prétention que de planter toujours le clou au point juste. Les adversaires les plus sérieux de son parti, M. Mill aussi bien que M. Bright, savent qu’il n’y a peut-être point en Angleterre de tête mieux affranchie des superstitions de caste et des préjugés de routine que celle de lord Stanley, pas d’esprit plus uniquement attaché à penser vrai et à bien faire, plus incapable de rien accorder à la fatuité des charlatans et à la solennité des sots. L’identique et imperturbable bon sens de ce curieux stoïcien politique s’est retrouvé dans son petit discours de Liverpool. Il est impossible d’être ministre avec une modestie plus raisonnable. Lord Stanley a profité de l’occasion pour indiquer les raisons positives de l’union qui doit exister, dans l’intérêt de la civilisation du monde, entre les peuples libres de l’Angleterre et de la république américaine. Son discours et son toast ont ob-