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commune ne le veut point, cela ne sera pas !….. » C’est encore lui qui, après avoir voté la mort de Louis XVI, demandait avec insistance, sous prétexte de ne pas prolonger les angoisses du condamné, que l’exécution eût lieu le jour même. Cruel sans fanatisme, plus bruyant qu’éloquent, plus emporté que convaincu, sans honnêteté, sans principes, avide d’émotions et de jouissances, âme faible et versatile sous des dehors terribles, Tallien ne se distinguait par aucun talent et par aucune vertu des autres députés jacobins.

Tel était l’homme à qui la prisonnière de Bordeaux apparut comme l’image de la volupté. « C’était une de ces femmes, a dit M. de Lamartine, dont les charmes sont des puissances, et dont la nature se sert comme de Cléopâtre ou de Théodora pour asservir ceux qui asservissent le monde et pour tyranniser l’âme des tyrans. « Arracher cette beauté merveilleuse d’abord à son mari, ensuite à la prison, contraindre le marquis de Fontenay à s’enfuir en Espagne, et faire de la marquise, de la célèbre aristocrate, l’ornement des victoires républicaines, ce fut le projet que réalisa le fougueux proconsul devant qui tout tremblait. Pour Mme de Fontenay, point d’autre alternative que Tallien ou la mort. Elle préféra Tallien. Obéit-elle à un entraînement des sens ou du cœur ? Ne céda-t-elle au contraire que pour échapper à l’échafaud ? « Quand on traverse la tempête, a-t-elle écrit plus tard, on ne choisit pas toujours sa planche de salut. » Cette réflexion peu stoïque est significative. Au surplus on voit la marquise se transformer avec une facilité singulière ; un changement complet s’opère comme par magie dans les manières, le langage, le costume de la grande dame, devenue tout à coup l’inspiratrice d’un parvenu de la terreur. Les républicains bordelais l’applaudissaient avec enthousiasme dans son nouveau rôle. Vêtue en amazone, les cheveux couverts d’un chapeau à panache tricolore, elle débitait le décadi à l’église des Récollets des homélies patriotiques. Tantôt elle se promenait dans de splendides équipages en se drapant avec grâce dans les plis de sa chlamyde grecque, tantôt elle paraissait debout sur un char, éblouissante de jeunesse, une pique à la main, le bonnet rouge sur la tête. Il faut du reste lui rendre cette justice, qu’elle exerça son influence au profit des idées d’humanité, et qu’elle eut le bonheur de tirer des mains des bourreaux un assez grand nombre d’accusés. Ces velléités de modération, signalées à Robespierre, devaient éveiller ses défiances. Tallien fut rappelé à Paris, où Terezia Cabarrus ne tarda pas à le suivre. On le laissa présider la convention pendant le mois de mars 1794 lors du procès de Danton et d’Hébert ; mais sa perte était déjà résolue dans l’esprit de Robespierre. L’orage commença par atteindre Terezia Cabarrus. Arrêtée le 22 mai 1794, elle était jetée dans la prison de la Force. Mise d’abord au secret, elle fut ensuite placée dans la même chambre que huit autres femmes de tous les rangs. À ces momens affreux, elle montra de la présence d’esprit, du courage, de la gaîté même. L’Athénienne devenait Spartiate, et par son énergie fortifiait l’âme de ses compagnes. Ces exemples de fermeté