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se tournait vers lui, qui ne voulait que lui. Venise se trouvait rendue à elle-même, à ses luttes, à ses périls, avant d’avoir eu le temps de ressentir les avantages de la fusion, et c’était le commencement d’une dictature nouvelle qui grandissait avec les circonstances. Je ne voudrais ajouter qu’un fait où se révèle l’honnêteté que Manin mettait dans tous ses actes. Après le départ des commissaires Colli et Cibrario, une somme de 600,000 francs envoyée par le gouvernement piémontais était arrivée à Venise. Manin avait bien besoin de cet argent, qui après tout avait été donné, et au sujet duquel, à la dernière extrémité, on pouvait s’entendre ; il le fit cependant remettre scrupuleusement à l’amiral Albini, qui croisait avec sa flotte dans le golfe.

C’est la première phase active des rapports de Venise avec le Piémont. La seconde est plus désastreuse encore ; elle se termine en trois jours par la triste et féconde bataille de Novare. Sans faire partie du Piémont, depuis l’armistice du 9 août 1848, Venise était pourtant restée dans des termes d’intimité avec lui, assez pour que le parlement piémontais lui votât quelques subsides, et pour que Charles-Albert, méditant toujours une revanche, songeât à faire venir Manin à Turin en lui offrant le ministère des affaires étrangères ; elle était trop intéressée d’ailleurs à une reprise d’hostilités pour ne pas marcher d’intelligence avec le Piémont dans une guerre nouvelle où elle trouvait sa propre défense, où l’Italie tout entière allait voir se jouer encore une fois sa fortune. Elle n’attendait donc que le signal pour reprendre l’offensive et tenter une diversion ; elle avait à peine le temps d’entrer en campagne que tout était fini, que Charles-Albert avait disparu, que sa dernière espérance de ce côté était définitivement, désastreusement ruinée.

Quant aux autres parties de l’Italie, il faut le dire, Venise en recevait à cette époque plus de paroles retentissantes et de conseils que de secours. Venise avait sans doute dans l’armée qu’elle avait organisée des Italiens de tous les pays, des Napolitains, des Lombards, des Romains, tout ce que l’ardeur du combat et du patriotisme poussait là où était le péril. A l’époque où le roi de Naples avait rappelé son armée, le vieux général Pepe s’était jeté dans Venise avec ceux qui avaient voulu le suivre et y était resté. C’était assez pour que la défense de ce dernier refuge ne parût pas exclusivement vénitienne ; ce n’était pas tout. Lorsque le gouvernement vénitien s’adressait aux autres états de la péninsule pour savoir d’eux si l’Italie pouvait définitivement se suffire à elle-même, s’il ne serait pas plus prudent d’invoquer nettement un secours étranger, on lui faisait un crime de cette pensée qu’on repoussait presque avec aigreur ; lorsqu’il demandait aux chefs de la révolution italienne de préciser leurs idées