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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/141

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les assemblées provinciales profitaient de ce résultat négatif pour s’abstenir de dresser les listes électorales ; la congrégation centrale à son tour déclarait qu’il n’y avait pas lieu de nommer des députés au conseil de l’empire. Le gouvernement finissait par désigner lui-même ces députés, et ces étranges élus refusaient comme tout le monde. Voilà quelle était la situation de ces provinces, autrichiennes par l’autorité de la diplomatie et de la force, italiennes d’âme, d’esprit, d’intérêts. Lorsqu’on en est là, il ne manque plus que l’occasion. L’occasion est venue, le dernier lien entre la domination impériale et l’Italie a été rompu, et cet affranchissement de Venise n’est pas seulement le fruit du sang versé dans les combats d’aujourd’hui, des défaites récentes de l’Autriche, il est surtout le couronnement de cette vie agitée d’un demi-siècle, où le sentiment national a grandi, tantôt dans l’éclat des résistances héroïques, tantôt dans le silence d’une servitude subie et jamais acceptée.

Voilà donc l’Italie arrivée aujourd’hui à cette pleine et souveraine possession d’elle-même sans laquelle elle pouvait se sentir toujours menacée. Il y a dix ans, elle n’était encore que la vieille Italie avec un petit peuple levant un drapeau vers lequel commençaient à se tourner toutes les aspirations nationales. Tout lui a souri, elle a même été un peu gâtée par la fortune. La guerre de 1859 a entamé la domination autrichienne. Quelques mois et quelques milliers de volontaires ont suffi bientôt pour faire disparaître quatre ou cinq petites souverainetés locales ébranlées par une sorte de déchaînement méthodique du sentiment national. Aujourd’hui c’est Venise qui est le prix d’une lutte nouvelle, et l’Italie gagne la dernière province qui manquait encore à sa jeune puissance. C’est la période de la revendication patriotique, nationale, qui finit par la disparition de toute souveraineté étrangère au-delà des Alpes. La seule question qui reste, la question de Rome, est à la fois plus petite et plus grande que celle de Venise ; elle est d’une autre nature, et ce n’est pas par les armes qu’elle sera tranchée. Ce qui s’achève aujourd’hui, c’est une constitution territoriale à laquelle l’Italie tendait de tout l’effort d’un patriotisme longtemps comprimé. Ce n’est pas que toutes les difficultés soient vaincues ; c’est maintenant au contraire qu’elles commencent, toutes ces difficultés organiques, financières, que le gouvernement italien a pu ajourner tant qu’il était obligé de rester sous les armes, et ce n’est pas la possession de la Vénétie qui peut aider pour le moment à les résoudre.

Venise est une force morale pour l’Italie ; elle est peut-être sous d’autres rapports une faiblesse. Il ne faut pas s’y tromper en effet :