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deux piastres, un permis de débarquement. Demain nous retournerons à la police pour acheter un permis de séjour ; enfin, quand nous voudrons quitter l’île, nous irons une dernière fois réclamer nos passeports, qui nous seront rendus moyennant finance, avec un permis de rembarquement. L’épreuve dont on me faisait si grand’peur n’est qu’une formalité productive et une manière d’arracher quelques plumes aux oiseaux de passage. Vite en voiture, et à la recherche d’un logis passable ! L’hôtel dell’ Almy, qui est, dit-on, le meilleur, n’a plus une chambre vide. Nous traversons la vieille cité, nous franchissons les remparts, nous longeons un square nouveau planté de palmiers, et nous débarquons à l’hôtel de Inglaterra, la seconde auberge de la Havane, que je vous décrirai une autre fois.

22 février.

Figurez-vous une baraque de bois et de plâtre peinte en rose et en bleu, haute de deux étages, et large de six ou sept fenêtres. C’est sur cette façade qu’est située la porte ; mais, une fois la gueule franchie, ne vous attendez plus à aucune régularité. Un escalier presque monumental fait deux tours, se borde un instant d’une belle grille dorée de fer battu, puis se termine en échelle de bois qui conduit sur des terrasses, au sommet d’une espèce de tour branlante où est perchée notre chambre nouvelle. Notre porte ne ferme guère et notre carrelage ne connaît pas le balai, sans compter qu’il offre à chaque pas des montagnes et des précipices. Notre miroir (car l’appartement est décoré de glaces) est incrusté d’une poussière séculaire que nul plumeau ne laboure, deux lits de fer pressés l’un contre l’autre occupent à peu près la moitié de la chambre ; mais, ô miracle ! nos fenêtres ont des carreaux de verre, chose rare et luxueuse à la Havane, où les maisons ne se ferment guère qu’avec des volets de bois. Quant au plafond, il est fait de poutres et de planches, les murs nus sont en madriers ornés d’arabesques d’un haut goût, et l’un de nos lits de sangle, un seul, est muni d’un mince matelas et d’une courte-pointe de calicot jaune de fabrique française, avec enluminures militaires imprimées en noir qui représentent une collection de tambours-majors, de vivandières et de grenadiers, le tout crasseux, dépenaillé, horrible, plein de toiles d’araignées et de bêtes ténébreuses qui montrent leurs trompes affamées dans toutes les fentes. Tel est le vaste et somptueux appartement qu’on nous a donné pour nous dédommager du logis bizarre où nous étions casernés hier. Ici du moins nous avons de l’air et de la vue, et les vitres cassées nous serviront la nuit de ventilateurs. Nous voyons à notre gauche la mer et sa surface grise, hérissée,