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figure de l’homme dans toutes ses attitudes et sous tous ses aspects qu’il ne leur manquait que le mouvement et la parole. « Et les filles d’Israël, ajoute le prophète, frappées de cette émouvante représentation de la nature, se laissent emporter à la concupiscence de leurs yeux et conçoivent une folle passion pour les Chaldéens. »

Nous le répétons, les peuples de ces vastes contrées de l’Iran sont sans contredit les mieux doués du sentiment de la décoration architecturale. Ce peuple était naturellement constructeur ; dans sa langue, Dieu le créateur s’appelait simplement l’architecte ; il donnait le même nom au père et à la mère et nommait l’enfant la chose construite[1]. Ces expressions, qui nous montrent que toute création se présentait à leur pensée comme analogue à l’érection d’un monument, ne nous indiquent-elles pas aussi d’une manière frappante quel était leur instinct spécial, leur vocation particulière ? Ce goût, né des mœurs et du climat, s’exerce toujours, progresse, se développe, se transforme, s’engourdit parfois à la suite de ces batailles mémorables où l’on vit se succéder les Assyriens, les Mèdes, les Babyloniens, les Perses et les Arméniens, les Égyptiens, les Grecs, les Parthes et les Romains, les Arabes, les croisés et les Turcs ; mais il se relève sans cesse de ces ruines formidables, et prouve encore dans le Médresseh d’Ispahan, sous le règne brillant de Shah-Sultan Hoseïn, en 1710, de quelles merveilles sont capables ces grands constructeurs. Où trouver en effet soit en Égypte, soit en Grèce ou chez les Romains des palais de cette importance, élevés sur des terrasses de deux cents pieds, au sommet desquelles on arrivait par des rampes et des escaliers de soixante pieds de haut. Dix chevaux de front les montaient aisément. Là, les arbres les plus rares, des fontaines jaillissantes, des dômes recouverts d’or, d’argent et d’émail, des colonnades élégantes d’où l’œil du maître planait sur la ville entière, faisaient de ce séjour un véritable paradis suspendu, ainsi qu’on le désignait[2].

Il est inutile d’insister davantage pour démontrer que l’architecture était arrivée dans ces contrées, alors si fertiles et si riches, à un degré suprême, affectant, grâce aux matériaux, aux sites et au climat, ce caractère pyramidal si contraire à celle des Égyptiens, des Grecs et des Romains. Nous allons la voir se modifier sans que son principe soit jamais dévié ou abâtardi par des principes étrangers ; nous allons voir les traditions de Ninive, de Babylone, de Persépolis et d’Ecbatane se continuer sans arrêt dans les villes de Suze et de Passagarde, de Hamadan, de Ctésiphon et de

  1. Voyez Botta, Layard, les recueils de la Société asiatique de Londres, Oppert, Place.
  2. Paradise en persan signifie jardin.