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trop de difficulté une remise du restant de la peine. La sentence d’ailleurs était, on l’a compris, entachée d’une certaine exagération. Cameron va donc d’ici à quelques semaines recouvrer sa liberté. Qu’en fera-t-elle ? Voilà la question. Depuis plusieurs mois, je la prépare à cette grande et redoutable épreuve. Une admirable institution, le Home des condamnés libérés[1], pourrait lui offrir un asile immédiat et les recommandations ultérieures sans lesquelles il lui est presque impossible de se créer une position ; mais les administrateurs de cette œuvre, chargés d’une immense responsabilité morale, n’acceptent pas indifféremment tous les individus plus ou moins suspects que nos pénitenciers leur envoient, et malheureusement le passé de Jane, les flétrissures multipliées qui l’ont atteinte et avant et pendant sa captivité, la recommandaient mal à une préférence de ce genre. Elle le comprenait mieux que personne, et après avoir confié ses intérêts à notre surintendante, par qui passent nécessairement toutes les demandes d’admission, je l’ai vue se préoccuper vivement d’un refus possible, disons mieux, d’un refus probable. Peut-être pour la première fois de sa vie elle avait le sentiment complet de sa déchéance et du grave dommage porté par elle-même à ses plus grands intérêts. Appelée, quoiqu’elle ne soit pas dans mon ward, à la rencontrer de temps en temps, je ne manquais jamais l’occasion de mettre à profit ce nouveau développement de son être moral. — C’est étonnant, me dit-elle un jour, vous me donnez les mêmes conseils que Susan. — Eh quoi ! m’écriai-je stupéfaite, Susan Marsh vous écrit encore ?

— M’écrire ? et pourquoi cela ? nous nous voyons chaque jour. Elle est de mes associées.

Or je n’ignorais pas seulement que cette fille, dissimulée entre toutes, avait fini par se frayer le chemin de Brixton, mais j’ignorais encore sa promotion toute récente au badge n° 1, et surtout (j’y eusse mis bon ordre) son association avec Jane. Le mal étant fait, il n’y avait plus qu’à y chercher remède. Pour cela, il fallait en apprécier l’étendue. — Eh bien ! Cameron, repris-je sans sourciller, Marsh vous conseille le Home ?

— Oui, répondit-elle, au moins pour les six premiers mois, en attendant qu’elle sorte d’ici.

— Et alors ?…

— Alors elle me propose de mettre en commun ce que nous avons gagné pendant notre séjour ici et à Millbank… Nous monterions un petit magasin… Nous vivrions comme cela très heureuses,

  1. C’est le nom sous lequel est couramment désignée la Discharge prisoner’s aid Society.