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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/373

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à ce moment de notre récit, visiblement embarrassé. D’un côté les instructions réitérées qu’il reçoit de sa cour, tant au sujet des constitutionnels qu’à propos des légations, l’engagent à pousser vivement le gouvernement français ; de l’autre il est retenu par la crainte trop fondée de mécontenter le premier consul, s’il ose l’entretenir trop souvent et surtout lui adresser par écrit des notes officielles sur des questions aussi délicates[1]. Il remet donc de jour en jour et prend soin d’expliquer au secrétaire d’état les motifs de sa réserve. « Il importe, dit-il, de ne pas heurter le premier consul de front et de laisser à sa sagesse le temps de former sa conviction… En somme, la Providence a destiné les hommes à n’être jamais tout à fait contens… Dans ce moment, le premier consul décide du sort de toute la terre. Le corps diplomatique de Paris n’en a pas seulement la conviction secrète, mais il proclame hautement qu’aucune puissance n’a la force d’obtenir de lui autre chose que ce qu’il veut bien lui accorder. Et la vérité est qu’avec la manière dégagée dont il traite les affaires et de la façon dont il répond à leurs demandes, aucune cour n’avance dans ce qu’elle poursuit[2]. »

A Consalvi, qui dans ses dépêches officielles, dans toutes ses lettres particulières et chiffrées, insiste chaque jour davantage pour qu’il réclame ouvertement les légations, le légat répond : « Le parti de parler clairement, soit par écrit, soit de vive voix, de nos droits et de la justice de notre cause ne serait pas utile ici. L’expérience de tous les jours ne me le démontre que trop. Tous les cabinets de l’Europe, grands et petits, ne font que remettre note sur note, et leurs ministres s’adressent à M. de Talleyrand faute de pouvoir s’adresser au premier consul, tout cela en pure perte… Si l’on me prescrit cette voie, je ferai, en l’adoptant, acte d’obéissance. L’autre, que je me suis proposé de suivre, consiste à toucher cette question en toute circonstance, mais en m’adressant au cœur et à la juste ambition du premier consul de vouloir être pour l’église un nouveau Charlemagne[3]. » Le légat avait peut-être raison de ne pas croire à l’efficacité des notes officielles passées à M. de Talleyrand ; mais en quoi il se trompait assurément, c’était en comptant outre mesure sur l’influence et la bonne volonté du ministre des affaires étrangères, « dont la conduite était telle, disait-il dans l’un de ses billets confidentiels, qu’elle témoignait suffisamment de sa résipiscence et de son repentir, et pouvait

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 21 novembre 1801.
  2. Ibid., 13 décembre 1801.
  3. Ibid.