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répondit en se rengorgeant complaisamment qu’il en avait cinquante-cinq comme cela ! Le fait était exact ; il eût même pu dire soixante-six en comptant les morts, et il n’est pas inutile d’ajouter qu’alors âgé de soixante ans, et ayant été renfermé dans un monastère jusqu’à son avènement au trône en 1851, il n’avait pu consacrer, lors de notre visite, guère plus d’une douzaine d’années à donner ce formidable développement à sa paternité. La conversation s’échangea en anglais, que le roi parle facilement, et les divers sujets traités nous fournirent une nouvelle preuve de l’estime où notre auguste interlocuteur tient la civilisation occidentale, après quoi un verre de guignolet servi à la ronde par le royal amphitryon donna le signal de la retraite.

L’audience du second roi, quelques jours plus tard, moins somptueuse que la précédente, fut marquée en revanche par une couleur locale peut-être plus accusée. Les mandarins, au lieu d’être assis, étaient prosternés le nez en terre, selon l’ancien rite ; on avait aussi conservé le rideau tiré entre le roi et nous pour marquer le commencement et la fin de la cérémonie. Le dîner qui suivit fut également servi de point en point à la siamoise. L’Europe ne reparut qu’au thé, vers la fin de la soirée, et nous nous retirâmes en emportant comme souvenir de cette réception la carte de visite du roi. Nous avions déjà reçu de même l’autre jour celle du premier roi, avec cette inscription autographe : Primus rex Siamensium, li primier roy de Siam.


II

Bangkok est la capitale actuelle de l’empire de Siam. Avec les canaux qui lui servent de rues, avec la double rangée de maisons flottantes qui bordent les rives du Meinam, elle semble être la Venise de l’extrême Orient, une Venise bouddhique de 3 à 400,000 âmes, autant qu’on peut attacher un chiffre à ces confus amoncellemens des populations asiatiques. Les pagodes y abondent. C’est à elles surtout que la ville doit le caractère monumental pour lequel elle est renommée, caractère dont l’étranger est vivement impressionné tout d’abord, et certes, s’il fallait juger de la ferveur des fidèles par la richesse du temple, nul peuple au monde ne serait plus religieux que le peuple siamois. Églises et monastères tout à la fois, ces pagodes couvrent sur les bords du fleuve de vastes espaces, où sont distribuées sans ordre apparent nombre de constructions diverses pour le service du culte et le logement des bonzes ou talapoins. Le tout est dominé par de hautes pyramides aux contours bizarres, revêtues de poteries vernissées de couleurs éclatantes. Enfin, au centre