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cet égard de parcourir l’interminable liste de droits d’exportation arrêtée avec les négociateurs européens, pour se rendre compte des sentimens de défiance dont s’inspirent évidemment les ministres siamois. De leurs progrès en économie politique dépendra l’accroissement de leur prospérité matérielle.

Leurs idées malheureusement ne sont guère tournées de ce côté au sein de l’existence oisive et endormie qui leur est habituelle, et qui, il faut le dire, est celle de presque tous les grands du royaume. Aussi le peuple mesure-t-il naïvement à l’embonpoint physique l’importance de ces privilégiés de la fortune. Leur vie intérieure est peu variée. Étendus sur des nattes et des coussins, ils fument, dorment ou mâchent le bétel, entourés de serviteurs prosternés dont la paresse semble s’accommoder à merveille de cette attitude servile en apparence. C’est le palais de la Belle au bois dormant. Le soir venu, tout ce monde sort de sa léthargie : l’heure a sonné des jeux et des divertissemens, ou bien des danses et des comédies, dites lakhoh, pour ceux à qui leur richesse permet ce luxe. Le plus beau lakhon dont je fus témoin nous fut offert par le premier ministre ou kalahom. Nous terminions chez lui un dîner somptueusement servi à l’anglaise, lorsque les premiers sons d’un orchestre indigène suspendirent les conversations. Derrière nous venaient de s’ouvrir les portes d’une longue galerie au fond de laquelle étaient assis les musiciens. Le principal instrument était le khong-bong, sorte de grand harmonica circulaire dont les touches en bois assortis, résonnant sous les deux marteaux de l’artiste place au centre, rappelaient par momens les joyeux éclats d’un carillon flamand ; autour se groupaient les flûtes, les guitares et une couple de petits tambours à mains. Le rhythme était lent, cadencé, un peu étrange peut-être, mais non dénué de grâce et d’originalité. Je ne sais comment certains voyageurs ont pu insister sur l’absence d’harmonie et sur le caractère discordant de la musique siamoise. Ils n’auront probablement pas réfléchi que la différence de tonalité dont ils étaient choqués provenait d’une gamme inconnue à leur oreille, assez analogue à celle de l’ancien mode éolien chez les Grecs, et que par la même raison les instrumens qui leur semblaient faux étaient construits sur une échelle d’intervalles nouvelle pour eux. La vérité est que les Siamois, et surtout leurs voisins les Laociens, ont l’oreille remarquablement juste, et s’ils ignorent l’art de noter leur musique, en revanche il est impossible, avec un peu d’habitude, de ne pas être frappé du sentiment harmonique de leurs orchestres. Cependant les danseuses arrivaient du fond de la galerie sur deux files parallèles, figurant l’une les hommes, l’autre les femmes, tout féminin