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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/429

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édifices de Pise, de Florence, de Sienne et de tant d’autres villes attestent seulement l’ignorance de ceux qui les ont construits ou la naïveté de ceux qui les admirent. D’une autre part, si les artistes italiens ont attendu la venue et l’influence des Médicis pour se préoccuper des exemples antiques, comment concilier cette initiation tardive avec les efforts inspirés par l’étude des mêmes modèles à Nicolas de Pise et à son école aussi bien qu’à Pétrarque, à Boccace, à une foule d’autres lettrés ? Nous avons vu d’ailleurs que, même sous l’empire des doctrines byzantines, il n’était pas impossible de reconnaître çà et là les indices de certaines vieilles habitudes, d’un certain archaïsme, tantôt brutal, tantôt maladroit ou timide. Jusque dans cette période d’avilissement, tout souvenir de l’art ancien n’avait donc pas péri. Seulement, le peu qui en subsistait et qu’on essayait parfois de transporter sur le vélin des manuscrits ne tendait à continuer que les coutumes de la manière romaine, les procédés consacrés par quelques monumens de l’époque impériale. Malgré ses origines et les doctrines qu’elle semblait naturellement appelée à faire prévaloir, l’école byzantine ne sut rien restaurer, rien renouveler des leçons de l’antiquité grecque. Elle n’importa en Italie que la parodie de la grandeur, un goût fastueusement dépravé, la manie d’un luxe pesant sous lequel l’art disparaît et l’inspiration de l’artiste succombe.

C’est l’honneur éternel de Nicolas de Pise d’avoir, par un acte spontané de hardiesse, par un véritable coup de génie, secoué le joug de ces traditions dégénérées et d’en avoir brusquement rompu la chaîne. Les bas-reliefs d’un sarcophage grec suffirent pour lui révéler, dans le domaine de la statuaire, les secrets de la majesté sans ostentation, de la vérité sans bassesse, et bientôt les sculptures de la Chaire du baptistère à Pise vinrent faire justice des vieux préjugés de l’école aussi bien que de l’indifférence qu’elle témoignait pour les plus beaux exemples de l’antiquité. Nous avons eu l’occasion déjà de rappeler les titres de ce grand maître et d’indiquer, à propos de la sculpture toscane, les caractères de la révolution qu’il entreprit[1]. En citant aujourd’hui son nom avant ceux des premiers réformateurs de la peinture, nous ne voulons que marquer par là le point de départ de l’art italien rajeuni et retrempé, la vraie date de sa régénération. Jusqu’à Nicolas de Pise, c’est-à-dire jusqu’à la seconde moitié du XIIIe siècle, l’antique était encore pour les artistes une lettre morte, la nature un danger, facile d’ailleurs à conjurer moyennant les prescriptions et les pratiques de la routine. Après lui et grâce à lui, les deux sources qui devaient

  1. Voyez la Revue du 1er octobre 1865.