Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de penser. La lumière luit pour tout le monde, et elle éclaire tout homme venant en ce monde ; de là vient que chacun a le droit d’atteindre à cette vérité par ses forces individuelles, par ses propres lumières, à la condition en même temps de ne point négliger les lumières des autres, ce qui est implicitement contenu dans l’idée que tous les hommes ont une seule et même raison. Chacun ne peut juger qu’avec son jugement, ne peut penser qu’avec sa pensée, cela est évident ; mais il ne suit point de là que la vérité soit individuelle et qu’il n’y ait pas en soi une vérité absolue que chacun atteint dans la mesure où il le peut, et qu’il transmet aux autres dans la mesure où ils sont capables de la recevoir. Le champ de la vérité est immense, et nul ne peut l’embrasser tout entière ; nous n’en atteignons que quelques degrés, nous n’en saisissons que quelques parcelles. L’un voit un côté des choses, l’autre en voit un autre ; l’un découvre un fait, l’autre une loi, un autre un sentiment : c’est pourquoi il est bon que tout le monde puisse dire son avis ; c’est de tous ces avis particuliers contrôlés les uns par les autres, c’est de tous ces laborieux efforts des raisons individuelles, que se forme la raison commune. Ainsi grandit et s’éclaire le génie de l’humanité.

On est tout étonné d’entendre soutenir le droit de l’erreur ; mais l’erreur n’est souvent qu’un moyen d’arriver à la vérité : ce n’est que par des erreurs successives, chaque jour amoindries, que se font le progrès des lumières et le perfectionnement des esprits. Le système de Ptolémée était peut-être nécessaire pour préparer celui de Copernic. Parmi les adversaires de la liberté de penser, il en est beaucoup qui soutiennent l’utilité même des préjugés, bien qu’ils les reconnaissent comme tels. N’est-ce pas admettre le droit de l’erreur et reconnaître que la vérité n’est souvent accessible aux hommes qu’en se mêlant à certaines illusions ? Cependant il ne faut pas asservir les hommes éternellement aux mêmes préjugés, et quand le moment est venu de séparer la vérité de l’erreur, il faut bien en prendre son parti. Dans ce triage, de nouvelles erreurs se glisseront encore comme conditions préparatoires d’une vérité supérieure ; c’est à la discussion de faire tomber successivement les erreurs contraires : de ce conflit se dégagent certains principes qui vont en se multipliant avec le temps. C’est ce qui a eu lieu incontestablement dans l’ordre des sciences physiques et mathématiques ; il faut espérer qu’il finira par en être de même dans l’ordre moral.

Il y a, dit-on, certaines vérités naturelles, instinctives, qui sont plus sûrement garanties par la foi que par l’examen, que la discussion au contraire obscurcit et confond bien loin de les affermir, et