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en l’abordant quelque risque pour son propre compte, on n’a pas à craindre du moins, pour le fond des choses et pour la gloire du maître, de rien compromettre ou de rien affaiblir.

On sait la rencontre, dans une vallée du Mugello, de Cimabue et de cet enfant de dix ans qui, tout en gardant ses chèvres, cherchait, un charbon à la main, à en reproduire les formes sur la surface des rochers ou sur les pierres ramassées en chemin. Les poètes, les romanciers, les peintres surtout ont pris soin depuis longtemps de populariser le récit de cette aventure, et de nos jours encore il n’est guère d’exposition de tableaux où l’on ne rencontre quelque image, bonne ou mauvaise, destinée à en entretenir, la mémoire. Qu’advint-il de Giotto dans l’atelier de Cimabue, lorsque celui-ci, après avoir emmené le petit pâtre de Vespignano à Florence, eut entrepris de l’initier à ce qu’il savait lui-même de la peinture et de ses secrets ? Il va sans dire que rien ne subsiste des premiers essais du disciple, et qu’il faut s’en tenir, en ce qui concerne cette période de sa vie, aux renseignemens indirects fournis par la période suivante. Serait-ce toutefois abuser de la liberté des conjectures que d’attribuer ici une médiocre influence aux exemples et aux avis du maître ? Malgré la supériorité de son talent sur la maigre habileté des peintres contemporains, Cimabue n’était pas en mesure de révéler à son élève les puissans moyens d’expression, dont, au bout de quelques années à peine, cet étrange apprenti disposait déjà, pour figurer, dans l’église supérieure du couvent d’Assise, diverses scènes de la Vie de saint François, et, sur les voûtes de l’église basse, les représentations mystiques des principales vertus que le saint avait pratiquées[1]. Pour Giotto sans doute, comme pour cet autre prodigieux enfant qui devait, trois siècles et demi plus tard, trouver « avec des bâtons et des ronds » la solution des problèmes les plus compliqués de la géométrie, la partie technique de l’art elle-même était affaire d’invention et de découverte personnelle. Si, à ne tenir compte que des procédés employés, on compare les fresques d’Assise, à la célèbre Madone

  1. MM. Crowe et Cavalcaselle, et avant eux les derniers annotateurs de Vasari, se sont appuyés sur des documens authentiques pour établir que la venue de Giotto à Assise remonte à la fin de l’année 1296. Giotto, né en 1276, n’était donc alors âgé que de vingt-ans. Il n’en avait que vingt-quatre lorsqu’il fût appelé à Rome par Boniface VIII, — et pour ne citer parmi les travaux de sa main que quelques-uns de ceux qui ont survécu, — il avait à cette époque exécuté déjà, outre les fresques d’Assise, les petits tableaux sur la Vie de Jésus-Christ conservés dans la galerie de l’académie des Beaux-Arts à Florence ; il avait même, si l’on s’en rapporte à la chronologie fixée par Vasari, achevé de peindre le beau Couronnement de la Vierge qui orne la chapelle dei Baroncelli à Santa-Croce, et le Saint François recevant les stigmates que possède le musée du Louvre.