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Beautés, quelles qu’elles soient, d’en résumer le sens, d’en imiter sincèrement les formes.

Parmi les qualités si diverses qui donnent aux œuvres de Giotto leur physionomie et leur valeur, il en est une pourtant qu’on pourrait signaler comme révélant plus particulièrement qu’aucune autre les inclinations intimes, la générosité de bienveillance unie dans les types sacrés qu’il définit, souvent même dans l’image de la beauté terrestre, à la majesté ou à la force. On l’a dit avec raison, Giotto « régénéra l’art en y apportant un principe nouveau, la bonté, sans laquelle le génie même est impuissant à obtenir l’amour[1]. » Le premier, il sut encourager la piété ou gagner la confiance du spectateur par la douceur de l’aspect que prennent sous son pinceau la personne divine et les saints, par la représentation familière et persuasive des joies pures, de la jeunesse, de tout ce qui sourit innocemment ou fleurit sans orgueil dans la vie. On trouverait parmi d’autres monumens contemporains les équivalens ou les symptômes de l’énergie avec laquelle Giotto a traité les sujets terribles, et les bas-reliefs qui ornent la façade de la cathédrale d’Orvieto fourniraient sous ce rapport matière à plus d’un rapprochement. Ailleurs, dans les sculptures de Nicolas de Pise par exemple, on pourrait constater des souvenirs de l’antique aussi fidèles que ceux dont plusieurs peintures du maître porte l’empreinte, — les figures entre autres de la Prudence et de la Justice qui ornent la chapelle dell’Arena à Padoue ; mais nulle part il n’apparaîtra quelque indice de préoccupation étrangères à ces preuves de vigueur ou à ces studieux efforts. La bonté est absente même des figures du Sauveur ou de la Vierge que modèle alors le ciseau ou le pinceau. Il semble que l’unique condition du travail consiste dans l’expression de la sévérité, que l’on se défie, comme d’un danger pour le beau, de tout ce qui tendrait à le rendre aimable. Une des conquêtes de Giotto, et la plus méritoire peut-être, est d’avoir agrandi ces horizons et élevé il art au-dessus de ces craintes. Grâce à lui, la peinture put impunément s’attendrir, aborder le domaine des sentimens délicats aussi bien que celui des émotions fières ou terribles, et représenter les mélancolies maternelles de la Madone, la douce majesté de l’Enfant-Dieu, la beauté adolescente des anges, sans dérober comme autrefois ces types par excellence de la mansuétude ou de la candeur sous le type d’une dignité contrainte et d’une gravité presque sinistre.

Giotto n’avait que soixante ans lorsqu’il mourut (1336). Quarante

  1. Raphaël et l’Antiquité, par A. Gruyer, t. Ier, p. 115.