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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/485

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l’Adriatique, propriétaire même de l’eau. La petite ville résistait : on en venait alors à la guerre, les salines étaient détruites, et Trieste était prise d’assaut. Les mariniers triestins ne pouvaient naviguer dans le golfe qu’après être allés se munir d’une patente dans une ville vénitienne, à Capo d’Istria. S’ils étaient saisis sans la patente, ils étaient conduits au port le plus voisin, les marchandises qu’ils portaient étaient confisquées, la barque était brûlée, et l’équipage allait aux galères de la république, C’est au plus fort de ces luttes que Trieste, dans un moment de détresse, cherchant un protecteur, se donnait à l’archiduc Léopold d’Autriche, sans cesser pourtant d’être une municipalité libre et à demi indépendante. C’est là le commencement des rapports de Trieste et de l’Autriche.

Maintenant laissez s’écouler les années et arrivez à la fin du XVIIIe siècle ; un écrivain triestin disait dans un opuscule publié à Vienne : « D’un côté nous avons pour voisin le despotisme turc, qui fait une foule de mécontens réduits journellement à chercher un autre ciel, une autre patrie ; de l’autre nous touchons à une république qui a la gloire d’avoir beaucoup vécu et qui déjà se ressent de la caducité. Le commerce du Levant a toujours alimenté les arts et les manufactures de Venise ; ce commerce tourne aujourd’hui sensiblement en notre faveur, et il y a grande apparence que le commerce des Indes orientales par le Cap de Bonne-Espérance va manquer peu à peu. » Voilà la rivalité qui se dessine toujours et la fortune qui change de face. Venise tombe, Trieste s’élève. Trieste avait grandi surtout pendant le XVIIIe siècle, sous l’influence des souverains autrichiens, qui donnaient la franchise à son port, encourageaient la formation de la compagnie orientale destinée à favoriser le commerce avec les Indes, construisaient des établissemens maritimes, renouvelaient la législation, créaient des institutions consulaires, une bourse, des écoles navales, — ajoutaient enfin à la liberté commerciale la liberté religieuse, qui attirait les Grecs et les protestans. C’est l’enfance vigoureuse d’une ville appelée à régner à son tour sur l’Adriatique. A la fin du siècle, Trieste avait une population de plus de trente mille âmes ; sa marine comptait plus de huit cents navires.

Jusque-là, Trieste, un peu rudoyée peut-être dans ses privilèges de cité municipale, n’avait pas du moins à se plaindre dans ses intérêts de son contact avec l’Autriche ; sa prospérité naissante au contraire sortait en quelque façon tout armée de la lutte avec une puissance italienne. Je ne parle pas de l’époque révolutionnaire et impériale où Trieste subit le contre-coup de toutes les vicissitudes pour se retrouver en 1815 sous la loi de l’Autriche, formant avec l’Istrie et une partie du Frioul un gouvernement particulier dont elle